A l'abri des regards, au pied d'un immeuble des plus lambda, il y avait ces petites marches descendant vers l'obscurité. Au plafond on pouvait voir les néons cassés et grésillants de l'Omen. Un bar qui en réalité n'avait rien d'austère ou lugubre. Il n'était pas malfamé, l'ambiance se prêtait plus à la convivialité et aux éclats de rire.

Dans cet endroit, comptoir et tables accueillaient une clientèle majoritairement composée de mutants ou d'humains trop ouverts d'esprit pour leur propre bien. Ce n'était pas une entrée exclusive aux mutants, à mon grand damne, et rien ne suggérait qu'il s'y passe quoi que ce soit d'illégal. Le patron était réglo et savait faire en sorte que son établissement le reste.

Malgré la tolérance assumée des lieux, ça ne m'empêchait pas d'y passer quelques soirées. Pouvoir me tenir au courant de certaines choses, déceler certains signes. Majoritairement là pour observer et picoler sans que l'on vienne me faire chier. Mais ce soir, c'était différent. J'avais donné rendez-vous à Oluchi. Nous nous étions rencontrés il y a peu dans un groupe de parole mutants. Non pas que je puisse envisager l'idée d'avoir besoin de me confier sur quoi que ce soit, c'était le genre de lieux où on pouvait aisément trouver des exclus qui pourraient s'avérer utiles un jour ou l'autre. Des esprits à modeler, des envies à encourager. Oluchi n'était pas de ce genre, en tout cas ne me l'avait pas laissé penser. Il semblait simplement curieux, sans trop avoir sa place dans ce genre de regroupement.

Son attitude m'avait rendue curieuse moi aussi. Il avait l'air sincèrement à l'écoute, comme si lui-même avait un lourd poids sur le cœur. Était-ce à cause de sa mutation ou bien de sa situation ? Pour une fois, je n'avais pas foncé avec mes gros sabots. Pensant simplement l'inviter un soir pour qu'on puisse faire plus ample connaissance. Difficile d'accepter le fait que j'avais peut-être besoin d'amis. De présence. Depuis qu'Achille, Lara et moi nous nous étions séparés, je ressentais un vide que je savais impossible à combler. Que je ne voulais pas réellement combler... par peur idiote qu'ils viennent à croire un jour que j'ai tenté de les remplacer. C'était d'autant plus stupide que nous n'étions même pas censés devoir nous retrouver... Sauf que j'étais incapable de tirer un trait sur ce passé, sur ce que nous sommes les uns pour les autres...

Une bière devant le museau, j'attendais patiemment, installée dans une table au fond du bar.

Un sourire sincère. Simple salutation, politesse ou affection intéressée ? Bien piètre juge de mes propres émotions, je ne cherchai pas à en déterminer le sens exact. J'invitai tout naturellement Oluchi à s'installer avec moi. "Une habitude, je n'aime pas entrer dans un bar sans commander", l'informai-je en sous-entendant que s'il m'avait posé un lapin, au moins aurais-je rempli mon contrat social avec ce bar en prenant une consommation.

Un peu gênée, je n'étais pas très douée pour faire la conversation. Surtout face à quelqu'un que je venais de rencontrer. Ce rendez-vous en lui-même avait un goût d'étrange. De nouveau. Mais il fallait bien un début à tout. "Plaisir partagé, Oluchi", répondis-je à sa déclaration quelque peu osée. Loin de m'en offusquer, bien au contraire. "D'ordinaire je viens ici seule. Ou plutôt... je ne fréquente pas suffisamment les groupes de parole pour avoir beaucoup de monde à inviter..." Bravo. Comme ça il va penser que tu es une paumée sans amis... Et il n'aurait pas tord, à vrai dire.

Je me replaçai sur ma chaise. Ce n'était pas mon genre de me montrer si peu assurée. "Et toi ? Tu acceptes souvent des rendez-vous dans les coins sombres de Brooklyn proposé par des mutantes que tu viens de rencontrer ? " Présentai-je en insinuant avec second degré que je pouvais être un danger pour lui. Je ne doutais aucunement de sa capacité à se débrouiller tout seul face à une quelconque menace. Mais j'avais cet orgueil et cet ego mal placés qui me rendaient insouciante, en tout cas suffisamment pour, dans mon cas, ne pas avoir peur d'inviter qui que ce soit où que ce soit. De quoi me valoir la plupart de mes ennuis, certes.

Des ennuis qui, ces derniers temps plus particulièrement, laissaient malgré moi des traces. La terre créée ne pouvait se dissiper si aisément. Une roche explosée contre un humain ou un mur, ça laissait des amas ci et là. Autant dire que ce n'était pas très discret dans une ville bétonnée de haut en bas... Rares étaient les fois où je faisais le ménage derrière moi. Cependant, quand les déboires s'approchaient de lieux qu'il m'arrivait de fréquenter régulièrement, je faisais attention. Brouillant les pistes, ne souhaitant pas être poursuivie inutilement par les autorités. Si Roxane n'était pas recensée, Xena l'était. Et j'avais beau être loin de ma ville d'enfance, je n'étais pas naïve : ils avaient des yeux et des oreilles partout. De quoi ajouter à ma méfiance. Même si être prudent ne suffisait plus depuis longtemps...