[Terminé] Un cauchemar monstrueux [Pv Eliott]

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- Graaace ! Où te caches-tu ? Je vais t’attrapper !
La petite fille accéléra sa course, le cœur battant la chamade. Elle repoussa de ses yeux une mèche de cheveux collée par la sueur afin de voir où elle allait. Le couloir sombre et labyrinthique semblait s’étirer à chacun de ses pas, et il lui semblait qu’elle n’en verrait jamais le bout. Plus elle avançait, et plus il faisait sombre. Pourtant, Grace ne pouvait pas s’arrêter. Le monstre se rapprochait. Il glissait dans l’ombre sans faire le moindre bruit, mais elle le sentait de plus en plus proche. Il était beaucoup trop rapide, elle ne savait pas comment lui échapper !
- Laisse-moi tranquille ! sanglota-t-elle.
- Enfin, Grace, on s’amuse ! rétorqua le monstre sur un ton narquois.

Elle prit un virage dans le couloir de droite, espérant sans trop y croire qu’elle pourrait semer le monstre si elle changeait suffisamment de direction… Et tomba nez à nez avec une porte. Elle actionna frénétiquement la poignée, mais la porte était verrouillée. Elle sentit soudain une clef dans sa poche. Sans perdre de temps à s’interroger sur cette apparition saugrenue, Grace se saisit de cette clef. Malheureusement, celle-ci échappa à ses mains tremblantes et tomba au sol dans un bruit mat. Le rire du monstre vint briser le silence pesant. La fillette ramassa précipitamment la clef et déverrouilla la serrure tant bien que mal. Elle claque immédiatement la porte derrière elle et la verrouilla à double tour, avant de s’avancer dans la pièce.

Il y faisait si sombre qu’elle voyait à peine le bout de ses doigts – une obscurité si froide qu’il lui sembla que toute chaleur l’avait quittée pour toujours. Frissonnante, elle fit quelques pas hésitants. Un mouvement dans un coin de son champ de vision la fit sursauter, et elle pivota brusquement. Il ne s’agissait que d’un miroir, et c’était son propre reflet qu’elle avait vu bouger. Elle prit le temps d’étudier le miroir pour se rassurer. Il était grand et usé, et lui renvoyait son reflet pâle comme un fantôme, rouge, en sueur et échevelé. Elle prit une grande inspiration, cherchant à reprendre son souffle. Elle était en sécurité dans cette pièce, pas vrai ?

Comme pour la contredire, le miroir réfléchit l’image d’un mouvement furtif, dans son dos. Presque au même instant, Grace sentit un tentacule noir, froid et visqueux s’enrouler autour de sa taille.
- Touchée ! la nargua une voix familière.
La petite fille poussa un effroyable hurlement.

La petite fille se réveilla en un bond et alluma immédiatement la lumière. Elle hurla également dans la réalité, un cri profond, sauvage et déchirant, avant de se recroqueviller et d’éclater en sanglot.

Son doudou, un ours en peluche du nom de Mr. Snuggles, avait roulé au sol, à moitié sous le lit, mais elle ne le remarqua pas. Quand bien même elle l’aurait vu, Grace ne cherchait jamais, jamais les choses sous le lit.

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Un cri strident, un sursaut qui figea mon regard dans celui de la surveillante du dortoir avec qui nous savourions une tisane avant d'aller rejoindre les bras de Morphée. "Excuse-moi, le devoir m'appelle", exprima la mutante en se précipitant dans le couloir sans signe alarmant autre que sa démarche accélérée. Je restai seule dans la chambre de la surveillante quelques secondes avant de la voir réapparaître. "C'est Grace, viens, elle ne me laisse jamais l'approcher..." lança-t-elle à la fois démunie et embarrassée. Comme si cette enfant constituait un réel problème. Ce que je pouvais comprendre... Grace n'était pas une fille accessible et il était souvent difficile de savoir ce qui n'allait pas.

Ces montres qui la taraudaient, qui la hantaient jusque dans son propre pouvoir... ils n'étaient pas le problème, uniquement les conséquences. Comment comprendre les rues inondées et les maisons dévastées si on ne faisait pas attention à la vague de dix mètres qui s'était formée plus tôt pour s'échouer contre le rivage ?

Ni une ni deux, j'emboîtai le pas de la surveillante. Dans la chambre, Grace avait éloigné les monstres en allumant la lumière, réveillant les autres enfants en plus de ses cris. "Grace ?" L'interpellai-je d'une voix douce avant de m'approcher d'elle avec douceur. "Mr. Snuggles", expirai-je en observant l'enfant. "Qui ça ?" S'étonna la surveillante alors que je fouillais les draps de la fillette, les contours de son lit. "Son ours en peluche", répondis-je en fouillant sous le lit. La peluche en main, je me redressai et l'époussetai. Je m'avançai vers Grace en m'accroupissant pour être à sa hauteur. "Tiens ma puce, il est sain et sauf. Tout comme toi. Tu as été courageuse, très courageuse", lui dis-je en tendant la peluche vers elle, attendant qu'elle fasse un pas vers moi pour ne pas la brusquer.

La surveillante roula les yeux au ciel en souriant. Elle n'était pas malveillante, mais son expression en disait long. Impossible de faire ça avec tous les enfants, de saisir chaque crise et chaque caprice, car pour elle, ça pouvait être considéré comme tel. Alors que pour l'enfant... cette peur, cette terreur si profonde, elle était bien réelle. Aussi saisissante qu'une phobie. Comment vivre, à 10 ans, avec une phobie de soi-même, de ce qui nous hantait à chaque fois que la lumière s'atténuait ? "Une chance que tu sois là... on va l'amener dans ma chambre, que les autres puissent se rendormir, dans le calme", ordonna-t-elle. J'entraînai Grace avec moi dans le couloir, pour que la lumière s'éteigne de nouveau dans la chambre.

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Lorsque la porte s'entrouvrit, pas brusquement, mais pas en douceur non plus, les hurlements de Grace redoublent d'ardeur, tandis qu'elle serrait sa couverture autour de son corps. La porte se referma avant même qu'elle n'aie eu le temps de réaliser de qui il s'agissait. Elle lança tout de même des regards paniqués autour d'elle. Dans son cauchemar, elle n'avait pas vu le Monstre entrer, et pourtant, la porte ne l'avait pas arrêté. Son rire sarcastique raisonnait encore dans ses oreilles, et elle ne parvenait pas à savoir si ce n'était qu'un sinistre souvenir du pays des songes, ou bien si elle l'entendait vraiment toujours.

Après quelques instants qui lui semblèrent une éternité, la porte s'ouvrit de nouveau, avec une grande délicatesse.
"Grace ?" Appela une voix douce que la petite fille aurait reconnue entre mille.
Ses yeux se posèrent sur Eliott et son cri s'étouffa dans sa gorge, mais son corps continua d'être secoué de sanglots. Elle remarqua vaguement qu'Eliott parlait à la surveillante, mais ne pouvait pas se concentrer sur ce qu'elle disait, ni sur ce qu'elle fit près de son lit par la suite. Rien d'autre n'avait de cohérence que la peur qui la rongeait.Mais soudain, Eliott était accroupie devant elle, à une petite distance tout de fois, et lui tendait Mr Snuggles, le nounours que sa maman lui avait un jour gagné à la fête foraine, et ses yeux la dévisageaient avec gentillesse.

"Tiens ma puce, il est sain et sauf. Tout comme toi. Tu as été courageuse, très courageuse" La fillette se raccrocha à ce regard doux, qui l'aida à s'ancrer dans le réel. Elle tendit une main tremblante pour attraper son doudou. Dès qu'elle l'eut dans la main, et avant même qu'Eliott aie eu le temps de le lâcher, elle fût prise d'une inspiration subite et lança son autre bras en avant pour l'enrouler autour du cou de la jeune femme, s'accrochant à elle comme à une bouée de sauvetage.

Elle resta là un court instant, et ses sanglots s'espacèrent. Elle n'entendait soudain plus le rire du Monstre. C'était vrai, elle était en sécurité, maintenant. Eliott contrôlait les pouvoirs, et elle ne laisserait pas le Monstre lui faire du mal. C'était un raccourci intellectuel un peu facile puisque la jeune femme ne faisait à priori qu'amplifier les pouvoirs, mais Grace en fut soudain convaincue. Eliott la protègerait.

"Une chance que tu sois là... on va l'amener dans ma chambre, que les autres puissent se rendormir, dans le calme"
A ces mots, Grace sentit une inexplicable petite pointe de colère surgir d'un endroit sombre au plus profond d'elle-même. Elle ne faisait pas exprès de réveiller les autres enfants ! Mais elle expira profondément et enfouit cette colère au fond d'elle-même. Elle n'avait pas le droit de se mettre en colère. La colère invitait le Monstre, et si Eliott voyait le Monstre, peut-être qu'elle serait effrayée ou dégoûtée et ne voudrait plus d'elle. Pire, le monstre aurait pu blesser Eliott... Et ça, la fillette ne se le serait jamais pardonné.

Elle lâcha Eliott, sans la quitter des yeux, pour la laisser se relever, et se cramponna à son bras à la place, s'accrochant à elle comme si sa vie en dépendait. Elle hocha la tête pour lui signifier qu'elle était prête. Elle tremblait toujours comme une feuille, mes ses larmes étaient désormais silencieuses, à l'exception de son souffle court d'avoir trop crié. Elle la suivit sans aucune résistance jusqu'à la chambre de la surveillante, qui repartit immédiatement pour s'assurer que tout le monde se recouche.

Dès que la surveillante fût partie, elle s'accrocha à la taille d'Eliott, son ours en peluche toujours à la main. Ses sanglots reprirent légèrement, mais bien plus légers qu'auparavant.

- Merci, Eliott... Je suis désolée d'avoir réveillé tout le monde... Tu veux bien rester avec moi ?
Elle fit un geste vague en direction du petit canapé de la surveillante. Elle se serait volontiers pelotonnée contre Eliott. Elle lui avait déjà fait quelques câlins par le passé, mais n'avait jamais autant recherché le contact. Ce soir, pourtant, elle en ressentait le besoin.

Mais elle savait aussi que beaucoup de gens à l'Institut, à l'instar de la surveillante, devaient être épuisés par ses crises. Elle baissa la tête, un peu honteuse, et ajouta à travers ses larmes.
- Enfin, je comprendrais si tu veux retourner te coucher...

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Les tourments de cette enfant me touchaient d'une manière déraisonnable, j'en avais bien conscience. Peut-être qu'à connaître son histoire je m'étais exposée à trop de sentimentalisme... Mais ce n'était absolument pas à regret.

À cet instant où ses yeux captaient les miens, ou son bras s'enroulait autour de mon cou, je ressentais une force indescriptible. Un contact si apaisant, si passionné. Je le savais et pourtant n'osais l'avouer : je l'aimais, cette petite. Et chaque instant où elle se faisait triste, effrayée, déçue, cela me tordait le cœur. Un instinct maternelle qui ne s'était jamais montrer de la sorte avec les autres. Si certains avaient une place particulière, Grace était tout encore à part. J'avais cette sensation, en étant là pour la protéger, la consoler, que cela éloignait mes propres démons.

Ma réticence aux contacts avec les étudiants et autres résidents ne s'appliquait pas pour elle. Pourtant, le rapport qu'elle entretenait avec son pouvoir devrait inverser la tendance... Si par mégarde je venais à l'amplifier, cela pourrait être terrible et la traumatiser encore plus qu'elle ne l'était déjà. Mais me contrôler était facile, à ses côtés. Comme si le besoin de la protégeait bridait toute action de mon pouvoir. Ce qui n'avait jamais été le cas auparavant. Pas même avec mon frère de qui j'étais pourtant si proche.

Une fois éloignées et la surveillante partie faire sa ronde, Grace s'agrippa à ma taille. Je la regardai avec un sourire réconfortant. Il était rare qu'elle s'accroche autant à mon contact. Non pas que cela me déplaise, mais j'ignorais s'il fallait mettre ça sur le compte d'une situation qui s'aggrave ou si elle gagnait en confiance... La requête de l'enfant accentua mon sourire et je vins poser une douce caresse sur sa joue tout en lui faisant relever la tête. "Bien sûr que tu ne fais pas exprès. Personne n'oserait penser le contraire, crois-moi. Mais je crois que ce serait mieux pour le bien de tous que tu ne retournes pas dans cette chambre, évoquai-je avec un minois malicieux. Je pourrais demander à ce que tu restes avec moi. Au moins pour cette nuit. Ça te dirait ?" Demandai-je à voix basse. Bien sûr, je n'avais aucune idée de l'avis qu'aurait la surveillante là-dessus. Sans doute soufflerait-elle, exaspérée, à me faire la morale sur le fait qu'on ne peut accorder à un ce qu'on ne peut accorder à tous. Mais le cas de Grace me semblait suffisamment particulier pour amorcer cette idée...

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Lorsque Grace baissa la tête, elle sentit Eliott lui caresser la joue avec douceur, et lui relever le visage.
"Bien sûr que tu ne fais pas exprès. Personne n'oserait penser le contraire, crois-moi.
A ces mots, la petite fille se sentit comme si un poids, une énorme enclume, avait été soulevée de sa poitrine. Eliott la comprenait, et elle ne lui reprochait rien. Grace hocha légèrement la tête avec une petite moue approbatrice, rassénérée par ses mots. Elle repensa soudain aux propos de la surveillante, et son visage se referma légèrement. Tout le monde n’était pas de l’avis d’Eliott.
- Je crois que la surveillante m’en veut. Ce n’est pas la première fois que ça arrive… Tu crois que je vais finir par avoir des ennuis ? Elle prit une grande inspiration parlant un peu plus vite. - Je… je n’ai pas envie que quelqu’un aille dire au directeur que je pose des problèmes

Eliott reprit la parole avec sur le visage une expression espiègle qui rappela à Grace ce que, à la télé, sa maman qualifiait de « mine de conspiratrice ». Sa maman… son absence avait déchiré un gouffre béant au centre de sa vie. Le plus dur était de penser à elle aléatoirement, de se dire « il faudra que je lui raconte ça » avant d’être heurtée par la réalisation qu’elle ne lui raconterait plus jamais rien. Elle aurait tant voulu parler à sa maman d’Eliott. Eliott, qui avait su se faire une place essentielle dans son cœur, et dont la présence ne manquait jamais de la rassurer. Eliott, qui ne la jugeait jamais, et qui conspirait maintenant avec elle pour briser une petite règle, celle selon laquelle les élèves de l’Institut devaient passer la nuit dans leur propre chambre. C’était comme quand sa maman, voyant qu’elle n’avait pas le moral, l’emmenait exceptionnellement manger une glace un lundi matin à onze heures, avant le repas de midi. Eliott savait rendre l’abime un peu moins douloureux.

"Mais je crois que ce serait mieux pour le bien de tous que tu ne retournes pas dans cette chambre Je pourrais demander à ce que tu restes avec moi. Au moins pour cette nuit. Ça te dirait ?" proposa la jeune femme à voix basse.
La petite fille ouvrit de grands yeux, et un adorable petit sourire étira son visage encore humide de larmes, qui commençaient à se tarir.
- Je peux dormir avec toi ? Pour de vrai ?! demanda-t-elle sur un ton plein d’espoir, avant de hocher vigoureusement la tête. Ce serait bien. Je crois que le Monstre a peur de toi.
Grace avait parlé à Eliott de ses ressentis et émotions à plusieurs reprises, mais c’était la première fois qu’elle lui parlait ouvertement du monstre. Elle réfléchit un instant avant de froncer les sourcils. Ce n’était pas exact.
- Enfin non, pas vraiment peur de toi. Je crois qu’il t’aime bien. Et qu’il te respecte, du coup, il ne veut pas faire de bêtises avec toi. précisa la fillette. Elle adopta sa plus belle « mine de conspiratrice » avant d’ajouter Tu sais…

La porte s’ouvrit alors doucement, et la surveillante y passa sa tête, avant d’annoncer à voix basse :"C’est bon, ils sont tous recouchés."

Grace s’interrompit immédiatement dans sa phrase, et ses traits se refermèrent légèrement. Elle voyait bien la lassitude sur le visage de la surveillante, et elle savait qu'elle en était responsable, même si elle ne percevait pas de reproche dans sa phrase ce coup-ci.
Malgré tout, elle ne s’éloigna pas d’Eliott. Ce soir, elle ne la lâcherait pas. Elles auraient tout le temps de parler lorsqu’elles seraient seules.

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Des ennuis, voilà ce que inquiétait l'enfant avant même de se préoccuper de ce qu'elle pouvait ressentir. Une pression qu'une fille de son âge ne devrait pas avoir à subir. Mais la vie était ainsi faite : une loi du plus fort, un tri sélectif. Sauf qu'une mauvaise nouvelle s'abattrait sur ses potentiels détracteurs, quand bien même s'agirait-il du directeur en personne : je la défendrai quoi qu'il m'en coûte. Peut-être que c'était immature et totalement dénué de sagesse. Après tout, elle n'était pas ma fille, je ne lui devais rien. Et pourtant... j'avais cette sensation qu'une part de son inconscient m'avait choisi pour tenir cette place. Car nous avions tous besoin d'un repère, d'un pilier. De quelqu'un sur qui compter. Surtout à son âge. Grace n'avait aucunement à affronter tout ceci toute seule. Et j'étais prête à prendre ce rôle très au sérieux.

Un sourire éloigna les ombres de son visage pour mon plus grand plaisir. Une complicité partagée qui la rendait confidente. Je la laissai s'exprimer, parler de ce monstre sur qui j'en connaissais finalement si peu. Je plissai les yeux, faussement menaçante. "Qu'il reste bien sage, il ne veut pas savoir de quel bois je me chauffe, crois-moi", répondis-je pour appuyer son interprétation. Je me fis attentive à la suite de ses mots qui, malheureusement, furent interrompus par la surveillante. "Grace, il va falloir que tu retournes te coucher toi aussi. Sinon tu ne pourras pas te lever demain et tu seras en retard pour la classe. Je doute que ton institutrice tolère les retards ou pire, l'absentéisme", tentait vainement la mutante d'obtenir l'obédience de Grace. Mais ajouter cette pression n'aiderait en rien... son petit sourire n'aiderait en rien.

Je n'étais pas psychologue et ne prétendais pas l'être, cependant, je comprenais cette enfant. Difficile de remettre en cause la surveillante sans saper son autorité alors je tentai de la jouer plus fine. "Sinon je peux l'amener avec moi pour cette nuit. Il y a peut de chances que Grace soit en retard pour ma classe si elle doit suivre mon rythme", proposai-je en solution. "Eliott..." se fit désolée la surveillante. "Juste pour cette nuit. On voit comment ça se passe. C'est mieux pour elle et beaucoup mieux pour le dortoir, non ?" Elle grinça des dents. "Ce n'est pas toi qui devra ensuite expliquer aux autres que faire des caprices ne leur donnera pas le même privilège", me dit-elle d'une voix basse en espérant que Grace n'entende pas. Ce qui me semblait compromis au vu de sa proximité avec moi. "Tu n'auras qu'à dire que Grace est punie pour avoir mis en danger la vie d'autrui et que des restrictions spéciales lui sont imposées", lui donnai-je comme argument. Elle leva les yeux au ciel et me fit signe de sortir.

Un sourire victorieux aux lèvres, je quittai la chambre avec Grace. "Trop facile, lui intimai-je d'une voix. Top-la !" Ajoutai-je en lui tendant ma main. Il nous faudrait quelques minutes à peine pour changer de dortoir et atteindre ma chambre.

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Lorsque Grace parla à Eliott du Monstre, celle-ci lui répondit en faisant mine de le menacer.
"Qu'il reste bien sage, il ne veut pas savoir de quel bois je me chauffe, crois-moi"
Grace sentit un mouvement au fond d’elle, et se demanda fugacement, assez naïvement, si le Monstre se cachait pour qu’Eliott ne l’attrape pas. Elle se sentit soudain encore un peu plus rassurée, et son sourire s’agrandit légèrement.
Mais il fallait que la surveillante du dortoir vienne tout gâcher…

"Grace, il va falloir que tu retournes te coucher toi aussi. Sinon tu ne pourras pas te lever demain et tu seras en retard pour la classe. Je doute que ton institutrice tolère les retards ou pire, l'absentéisme"
Grace eut un instant l’impression que la surveillante se moquait d’elle, et la surprenante pointe de colère de tout à l’heure revint à la charge – une sensation étrange, d’une chaleur désagréable. Toi, tu ne me dis pas ce que je dois faire. Cette pensée saugrenue – bien sûr qu’elle était sensée écouter la surveillante – s’imposa à son esprit, sans même qu’elle aie conscience de l’avoir formulée, mais elle était là. Elle ne songea pas un seul instant à l’associer au Monstre – ça ne sonnait pas du tout comme la voix qu’il avait dans ses cauchemars, mais plutôt comme une version déformée de sa propre voix, plus sourde, plus profonde, comme un écho.
A nouveau, elle voulut prendre une grande inspiration pour repousser cette colère, loin, aux plus profond d’elle-même, mais son souffle se bloqua dans sa gorge comme un hoquet.

"Sinon je peux l'amener avec moi pour cette nuit. Il y a peut de chances que Grace soit en retard pour ma classe si elle doit suivre mon rythme"
La voix d’Eliott aida immédiatement Grace à retrouver un peu de calme. Mais la surveillante reprit immédiatement la parole, sur un ton qui ressemblait à du regret.
"Eliott..."
"Juste pour cette nuit. On voit comment ça se passe. C'est mieux pour elle et beaucoup mieux pour le dortoir, non ?" insista Eliott.
"Ce n'est pas toi qui devra ensuite expliquer aux autres que faire des caprices ne leur donnera pas le même privilège"
La surveillante s’était exprimée à voix basse, comme si elle pensait que la fillette ne l’entendait pas. Ou comme si elle croyait Grace trop demeurée pour comprendre ce qu’elle disait à son sujet. Elle me prend pour une idiote. A nouveau, cette pensée fut si soudaine qu’elle lui sembla presque étrangère, et pourtant, elle émanait bien d’elle – des tréfonds de son être, du même endroit, semblait-il, que cette surprenante rage lancinante qui lui donnait l’impression de la brûler comme un fer. Le mot "caprices" tournait en boucle dans son esprit, et semblait laisser des braises ardentes dans son sillage. La petite fille était surprise et un peu effrayée par l’intensité de ces émotions.

"Tu n'auras qu'à dire que Grace est punie pour avoir mis en danger la vie d'autrui et que des restrictions spéciales lui sont imposées" Reprit Eliott. La surveillante leva les yeux au ciel mais accepta finalement, et elles sortirent.

Dès qu’elles furent dans le couloir, toute trace de colère abandonna l’enfant, remplacée par une certaine lassitude.
"Trop facile, Top-la ! "
Grace rendit son sourire à Eliott, un peu timidement, et s’exécuta sans protester, son geste rendu toutefois un peu mou par la fatigue.
- Je suis pas vraiment punie, alors ?Demanda-t-elle avec de grands yeux. Elle se souvenait qu'Eliott ne lui avait pas encore dit si elle risquait de finir par avoir des ennuis avec la surveillante.

Elles atteignirent rapidement la chambre.
- Mister Snuggles trouve que ta chambre est très jolie ! complimenta la fillette en référant à son ours en peluche qu'elle tenait toujours dans ses bras.
Son ton trahissait à la fois son innocence et son épuisement. Pourtant, elle ne se sentait pas prête pour dormir, pas encore. Elle espérait pouvoir parler un peu plus avec elle, si celle-ci le voulait bien, reprendre leur conversation interrompue.

Grace lança à Eliott un regard plein d'espoir, tout en séchant les larmes sur sa joue du revers de sa main.

Spoiler:

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HRP :

Les plus jeunes enfants qui étaient ici avaient tous des situations assez complexes. Parfois rejetés, parfois orphelins. Certains avec des soucis à cause de leurs pouvoirs, d'autres simplement des soucis de comportement. Ce pensionnat pour surdoués drainait une diversité d'élèves qui auraient tous besoin d'avoir un repère, quelqu'un à leur écoute pour les guider. Les professeurs ne pouvaient pas s'attribuer un élève et le suivre constamment... Ce n'était pas viable avec nos vies en dehors de l'institut. Ni même, parfois, avec nos seules vies à l'intérieur.

Une fois éloignées de la chambre, Grace comprit que c'était gagné, sans qu'elle n'ait à en payer le moindre prix hormis celui de me supporter ! Le trajet silencieux jusqu'à la chambre se finit par la découverte de ladite pièce. La chambre n'avait rien de particulier. Quelques vêtements laissés sur un chevalet, mais aucun objet personnel. J'avais bien un petit album photo dans un tiroir et une petite garde-robe dans l'armoire, rien de superflu. Cela pouvait paraître triste, mais ça ne l'était pas à mes yeux. Je ne voulais pas me sentir trop chez moi dans cet endroit, car j'avais espoir qu'une fois mon frère libéré, la situation des mutants stabilisée, nous pourrions reprendre le cours de notre vie.

Un sourire remercia la jeune fille. "Ravie que ça plaise à Mr Snuggles !" Je l'invitai à entrer, à s'installer sur le lit tout en m'y asseyant également. "Viens-là", voulais-je l'accueillir dans mes bras, la bercer et effacer ces larmes asséchées. "Tu as soif, faim ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux me demander. En plus, je ne suis pas une grande dormeuse. Alors ça ne me dérangera pas de te veiller pour m'assurer que le monstre ne t'embête plus", lui confiai-je d'une voix basse comme s'il s'agissait un secret.

La situation était exceptionnelle, mais une part de moi aurait aimé que ce soit la norme. Non pas que j'ai le moindre complexe de solitude à combler, seulement que cette enfant m'éloignait de mes sombres pensées. Que m'occuper d'elle me donnait une réelle utilité. J'aimais à croire qu'elle se soit ainsi accrochée à moi plutôt qu'à quelqu'un d'autre parce que nous étions unique l'une pour l'autre. Liées par je ne sais quelle force. Certains aimaient se sentir uniques et précieux aux yeux d'un être aimé d'amour avec un grand A, mais je n'étais pas de ceux-là. L'amour d'un enfant était bien plus précieux, plus innocent et profond. Ce que j'ai pu vivre avec mes parents, quand bien même je n'ai pas été toujours sage et obéissante, fut le plus bel amour qu'il m'aura été donné de vivre. La maladie m'avait enlevé mon père, les purifiers sans doute ma mère... Mon frère était le seul à rester, et j'ignorais comment sa libération allait se passer, si la détention l'aura brisé ou non. Une peur justifiée qui me forçait à reconstruire des liens forts pour ne pas virer de bord et perdre la raison. À mon sens, ce n'était pas une coïncidence si ma route avait croisé celle de Grace.

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En arrivant dans la chambre d’Eliott, Grace observa les lieux. La pièce était assez nue, semblable à la plupart des autres chambres mais, peut-être parce qu’elle savait que c’était celle d’Eliott, la fillette s’y sentit immédiatement chez elle, et complimenta les lieux de manière détournée.
"Ravie que ça plaise à Mr Snuggles !"
répondit Eliott, gagnant un sourire de la petite fille.

Grace recala Mr. Snuggles dans ses bras tout en suivant Eliott à l’intérieur. L’institutrice s’assit sur son lit et invita l’enfant à la rejoindre. Celle-ci ne se fit pas prier, mais vint au contraire se lover confortablement dans les bras d’Eliott, la tête contre son épaule. Elle n’avait pas répondu, mais son geste était évocateur.
"Tu as soif, faim ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux me demander."
La petite fille réfléchit à cette question avec un grand sérieux, tandis qu’Eliot poursuivait :
"En plus, je ne suis pas une grande dormeuse. Alors ça ne me dérangera pas de te veiller pour m'assurer que le monstre ne t'embête plus" murmura Eliott.
Grace sourit à nouveau, et se pelotonna un peu plus contre Eliott, rassénérée.
- Avec toi, le Monstre n’a qu’à bien se tenir, et je crois qu’il le sait ! affirma-t-elle. Mais ça m’embêterait que tu ne puisses pas dormir. On peut dormir toutes les deux ensemble, ça marche aussi.
Grace se souciait également du bien-être d’Eliott. Elle ne connaissait que trop bien l’état dans lequel on se retrouvait après une nuit blanche, et s’en serait voulu de l’infliger à Eliott.

Elle repensa alors à la question qui avait précédé.
- J’ai pas vraiment faim, c’est un peu tard pour manger… Mais ma maman, elle me faisait de la tisane de tilleul quand j’arrivais pas à dormir…
Grace songea alors que faire une tisane, c’était beaucoup de travail. Elle ne voulait pas trop déranger Eliott. Elle secoua légèrement la tête.
- Enfin… je veux bien un verre d’eau, ce serait gentil, merci. Reprit-elle alors.

Grace se souvenait très bien des tisanes de sa maman. Pour une raison obscure, et alors même qu’elle possédait une bouilloire électrique, elle les préparait généralement à la casserole, et avait tendance à faire infuser les sachets directement dans sa casserole, avant de verser le thé ou la tisane dans la tasse, déjà légèrement refroidi, prêt à être bu. Elle le sucrait en général avec une petite cuillère de miel, sauf pour les tisanes de tilleul du soir. Sa maman n’avait jamais dérogé à la règle « pas de sucreries après s’être brossé les dents ».
Sauf le soir où papa était parti. Ce soir-là, elles avaient mangé un grand pot de glace – qui faisait au moins 100 litres, se souvenait avoir pensé Grace, ce qui était certainement faux – en regardant une comédie romantique de Noël.

Grace secoua la tête, s’extirpant à ses souvenirs, et son expression pensive se dissipa. Elle se tourna à nouveau vers Eliott.
- Dis, Eliott… Elle hésita brièvement, puis reprit, fixant Eliott de ses yeux brillants d’espoir. Tu me racontes une histoire ? Depuis que je suis là, je me les raconte toute seule…
Grace adorait les histoires. D’ailleurs, si Eliott n’en avait pas, Grace avait toujours un livre caché dans la poche magique de Mr. Snuggles. En général, c’était Le Petit Prince, son livre préféré, et aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle.

Mais la petite fille se rendit alors compte qu'Eliott s'était endormie. Elle se pelotonna donc contre elle et, dans la chaleur réconfortante de ses bras, elle ne tarda pas à trouver le sommeil à son tour.

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