[Université] Coup de jus !

La première sonnerie retentit, et le professeur annonce :
- Attendez, attendez ! Pour le projet évaluatif du semestre, j’ai ici les listes de thématiques, comme promis ! Veuillez descendre vous inscrire avant de partir.
Ah bon ? Et bien, je suppose qu’il a dû annoncer ça avant les vacances… Etant la plus proche du bureau, j’atteins les listes la première. Je les parcours rapidement des yeux, et inscris mon nom en lettres mathématiquement régulières, à côté du sujet “Ces maladies mortelles qui ont apporté à l’homme des avantages génétiques.” Je ne sais pas très bien pourquoi j’ai choisi cette thématique. Ce n’est pas un choix rationnel - ce n’est pas un domaine où j’ai une grande expertise qui m’assure une note optimale. Logiquement, j’aurais dû choisir autre chose, comme par exemple “L’ADN des jumeaux”. Rationnellement, ce choix n’a aucun sens. Et pourtant… j’ai éprouvé une sensation étrange en lisant ce sujet - quelque chose dans le ventre. De la curiosité, peut-être ? Pour moi, c’est toujours difficile à dire… Mais peut-être que ces recherches pourraient m’en apprendre davantage sur le fonctionnement de l’épilepsie.

Je n’ai pas encore bougé, d’autres étudiants m’entourent peu à peu - l’une deux me bouscule accidentellement, et un léger coup de jus circule entre nous. J’y suis habituée, mais elle, elle sursaute comme si une guêpe l’avait piquée, me regarde, puis continue son chemin. Je m’apprête à m’éloigner lorsque je vois que les étudiants s’inscrivent par deux. Je jette à nouveau un oeil à la liste. Tout en haut, il y a écrit “Thématiques de Projet - Liste des binômes”. Mince alors ! Je regarde autour de moi, mais tout le monde a l’air d’avoir un partenaire.

Soudain, je ressens un nouveau coup de jus proche de mon épaule, plus fort celui-ci - assez fort pour me faire sursauter. Je me retourne et me retrouve face à un jeune homme d’à peu près mon âge, un grand brun aux yeux bleus.
- Pardon, je m’excuse par réflexe, même si c’est lui qui m’a heurtée - probablement poussé par la foule. Ou est-ce qu’il m’a tapoté l’épaule ? Avec le coup de jus, c’est difficile à dire. Mais je ne vois pas pourquoi il l’aurait fait.

Je n’avais pas réalisé à quel point les amphis seraient bondés ici, par rapport à Columbia. On est trop nombreux, massés devant le bureau comme ça, et je ne peux pas continuer à mettre des coups de jus aux gens. Ca me fatigue, et surtout, je vais finir par attirer l’attention. Je m’écarte pour lui laisser l’accès à la liste derrière moi, et je commence à me diriger vers l’escalier. Les étudiants massés là sont nombreux, eux aussi, mais je marche près du mur, mon porte-bloc-notes en tilleul gravé tendu vers l’extérieur, créant de force une bulle entre mois et les gens qui ne veulent pas se prendre un bout de bois dans le bras. Je ne monte que trois marches avant de me rendre compte qu’il m’a rattrappée.

J’arrivais en cours en retard ce matin-là. La faute à qui? À moi il semblerait. Ou plutôt a mon humeur de chien. En effet d’après les conclusions que j’avais pu tirer ce matin en découvrant la scène du crime et en cherchant dans mes souvenirs encore flous, il paraît évident que mon réveil a bien sonné comme on le lui avait demandé mais qu’en remerciement pour son bon travail il n’ait eu comme condamnation qu’une mise à mort par explosion. Il ne fait aucun doute qu’il a bien explosé ses restes encore chauds ne témoigne et en me connaissant il est bien plus probable que je l’ai fait en rêvant plutôt que d’imaginer qu’un autre serait venue faire exploser mon réveil, sans me réveiller ni me blesser de surcroit.
Bref je me retrouve donc sans réveil et sans heure affiché. Il m’a fallu presque dix minutes pour penser à sortir mon téléphone pour regarder l’heure et me rendre compte qu’à ce rythme je n’arriverais jamais en cours! Je me suis habillé en toute hâte et j’ai pris un café en passant avant de me précipiter en cours.

Celui-ci ayant déjà commencé je me suis mis sagement derrière pour ne pas me faire inutilement remarqué. L’époque où je faisais enrager les profs était révolu! Aujourd’hui je préférais choisir mes combats et humilier ce prof n’en faisait pas partie. e suivis le cours avec un intérêt un peu limité. D’un un cours reste toujours un peu barbant et des deux je ne cessais de penser à mon réveil. Je me demandais à quoi je pouvais bien rêver pour arriver à le faire exploser. Je maîtrise encore très mal ce pouvoir, je n’ai pas compris comment le déclencher sur la demande… Du moins pas sans une concentration exceptionnelle et une proximité assez importante! Sans compté que la taille de l’objet est aussi assez limitée. Au bout d'une demi-heure lassée de tenter de me souvenir de ce qui avait provoquer ça je portais mon attention sur la classe.

Je remarquais bien vite la nouvelle élève dans ma classe. En même temps ce n’est pas bien compliqué. Chaque personne émet une vibration pour moi… Cela dû au mouvement des molécules qui le forme. En général ces mouvements sont sensiblement les mêmes. Enfin du moins tous se ressemblent, mais elle pas vraiment… Ils sont plus saccadé que le normal. Moins régulier; Il n’en faut pas plus pour me captiver les cinq dernières minutes du cours. Je tentais de comprendre ce qui provoquait ça… Bien sûr toute sorte de théorie est envisageable! Allant de la simple anomalie à une mutante extrêmement puissante et même pourquoi pas une extraterrestre! Mais tout cela n’est que théorie. J’avais vite fait pris en note ce que j’arrivais à enregistrer dû discourt du prof et la cloche annonça la fin du court! J’allais enfin pouvoir prendre un vrai petit déjeuné! S'il y a bien une chose que je regrette du peu de temps ou j’ai vécu avec mon frère et ma soeur c’est bien ses petits déjeunés! On peut au moins lui laisser qu’il est aussi bon cuisinier que casse pied!


Le prof nous annonça qu’on devait remplir une fiche pour un devoir à faire. Je m’approchais alors pour remplir la fiche à mon tour. Toute la classe voulait marquer né même temps son nom sur les fiches...; Je vous jure! Comme si au final ça allait changer quelque chose! On aurait tous quoi qu’il arrive du boulot à faire! Arriver à mon tour on poussait un peu derrière et je touchais de plein fouet la nouvelle justement. Je sursautais un peu en prenant une décharge électrique. Dit donc! Soit je suis plus sur les nerfs que je ne le pensais encore soit je ne suis pas le seul! En tout cas c’est électrique de toucher cette miss! Elle s’excuse et je souris l’air de rien. Il y avait toujours quelque chose d’étrange chez elle. Arrivé devant la fiche je découvrais qu’il fallait travailler par deux. Ni une ni deux je m’inscrivais à côté du premier prénom seul que je trouvais et qui était à coup sur je le savais celui de la nouvelle! Une bonne occasion de lui parler. Pourquoi? Je m’ennuie un peu en ce moment… et parle à une fille quand on s’ennuie et un bon passe-temps! Surtout si ca se termine « bien » pour moi… Mon écriture brouillonne collée a la suite de la sienne si propre je me glissais à travers les élèves pour la rejoindre. Inutile de perdre plusieurs temps! Autant lui annoncer tout de suite la bonne nouvelle!

-Bonjour! Tu es Victoria? Je viens de me marquer avec toi sur le devoir…

On arrivait enfin à passer le pas de la porte et le couloir étant plus large les élèves purent se déplacer et on était moins écrasé!

-Au fait je m’appelle Marcus, mais on m’appelle Mark. Si tu as du temps pour travailler on pourrait peut-être aller en discuter autour d’un café?

Quoi? Je vous ai dit que j’avais raté mon petit déjeuner! Je veux bien draguer une fille mais je refuse de la faire le ventre vide!

-Justement un ami travaille dans café non loin de là. Tu es partante?

J’imagine déjà comment cet ami va être rageux de me voir débarquer dans son café pour draguer pendant qu’il travaille!

J’ai suivi le cours avec patience. Moi je ne m’ennuie pas - ou, du moins, si je m’ennuie, je ne m’en rends pas compte. Alors, même si ce cours est intellectuellement peu stimulant comparé à mon stage récent, je suis restée patiemment assise sur mon siège, à prendre des notes sur mon ordinateur du début à la fin du cours. Contrairement aux autres, je ne m’étire pas, je ne bavarde pas, je ne gigote pas. Je me contente de rester stoïque et de prendre des notes - assise à l’avant, là où j’ai tout mon espace car personne ne veut s’y mettre. Et de boire une gorgée d’eau toutes les 20 minutes. C’est très important, pour une épileptique, de rester hydratée.

Quand le prof nous demande de nous inscrire, je descends rapidement en me disant : première arrivée, première repartie ! Mais c’était sans compter le fait que, pour repartir, j’allais me retrouver en sens contraire de la foule… Alors que je m’apprête à la traverser armée d’un porte-document en bois pour maintenir les gens à l’écart, un type m’interpelle. Ah, c’est le type que avec qui je viens d’échanger un coup de jus. Oui, moi j’y suis habituée à force, mais les autres pas forcément.

Il me parle tout en montant l’escalier avec moi - et, sans même s’en rendre compte je crois, il me fait barrière de son corps, m’évitant d’avoir à brandir mon porte-document pour me séparer de la foule.
Il me dit bonjour, et je me rappelle : quand quelqu’un se présente, normalement on est content de le voir alors on lui sourit. Donc, je lui souris. Je n’ai pas le temps de répondre qu’on doit passer la porte l’un après l’autre. J’attrappe la porte qu’il a retenu, en évitant soigneusement le contact de sa main (je ne peux pas me permettre de "choquer" la même personne toute la journée, ça se remarquerait...)
- Oui, Victoria, c’est bien ça. Ca m’arrange, je t’avoue que je ne connais personne et que je me suis un peu inquiétée pour cette histoire de binôme. je lui réponds sans me départir de mon sourire symétrique. Un sourire qui fait illusion depuis des années.

On se retrouve dans le couloir, avec tout de suite beaucoup plus d’espace, et il se présente à son tour. Avant de m’inviter à discuter autour d’un café. Ah non surtout pas ! Pas de café ! La caféine, c’est très mauvais pour moi. Mais je sais très bien que ce n’est pas exactement ce qu’il veut dire.  Pendant que je réfléchis, il enchaine encore, il me dit qu’il connait un café pas loin, et me demande si je suis partante.
- Enchantée, Mark ! Oui, je veux bien, c’est une bonne idée !

Il n’a pas la dégaine des gens que ma mère m’encourage à fréquenter, mais après tout, il ne s’agit que d’un travail de groupe ! Alors je suis certaine qu’elle n’y trouverait rien à redire.
- Dis, ils ont à manger, dans ton café ?
Que voulez-vous ? A la maison, ma mère plisse le nez si je mange ne serait-ce qu’une pomme le matin, alors en général j’arrive à l’école le ventre vide - et je trouve quelque chose à grignoter à la pause. J’ai l’impression de passer mon temps à manger, quand je quitte la maison. Mais bizarrement, je ne prends pas de poids - et je suis certaine que ça a à voir avec mes médicaments.

On quitte le bâtiment, et je ferme la tirette de ma veste. Mais moi, ça ne me gêne pas qu’il ne fasse que 6 degrés ! Le froid ça va,  je gère ! Mais c’est les coups de chaleur dont je me méfie… Chez moi, une insolation a de bonnes chances de s’accompagner d’une crise, même mineure. Mais là, le temps me convient parfaitement.

- Tu es dans quel parcours, toi ? je lui demande en chemin, pour faire la conversation.
Car, si moi je suis en master de biologie moléculaire, ce cours de génétique est accessible aux étudiants de nombreux parcours, comme la médecine par exemple.

Quand il ouvre la porte du café, je suis trop rapide - ou pas assez - : nos doigts se frôlent et, à nouveau, on se prend un coup de jus, même si celui-ci est moins intense que tout à l’heure.
Je ne sais jamais trop si je dois faire mine de rien ou pas… Alors je rentre dans le café sans rien dire d’autre qu’un :
- Merci.

On s’installe, et je regarde la carte en espérant trouver, dans ce café que je ne connais pas encore, quelque chose à manger qui ne ferait pas s’enfuir mon docteur en hurlant…
Quand je parle aux gens de “sans gluten et sans édulcorants”, je passe tout de suite pour une fille un peu pimbêche qui prend sa ligne un peu trop au sérieux. Mais ma mère m’a appris qu’il valait mieux être vue par les gens comme hautaine que malade.
- Excusez-moi ? Il y a des raisins sec dans votre carrot cake sans gluten ?
Et oui, les raisins - un autre aliment à bannir…

Je venais de me présenter. Maintenant que je m’étais inscrit avec elle pour faire sa connaissance je n’allais pas avoir le choix que de faire sa connaissance pas vrai? Puis soyons honnête c’est tout sauf une corvée!

Bon point pour moi elle ne connaît personne! Donc déjà je suis le premier sur les rangs! C’est super ça! Peut-être que cette journée ne serait pas aussi pourris que ça finalement ! Mais comme je commence à avoir très faim je finis par lui proposer qu’on se rende dans un café pas très loin. En plus là-bas un de mes amis y travaille et j’ai l’habitude d’y trainer. Puis franchement ils font les meilleurs petits déjs du coin!

-Oh oui il y a mangé! Ils font les meilleurs petits déjs du coin je t’assure! C’est café assez moderne assez sympa. Viens suis-moi.

Je l’entraine donc avec moi. On arrive dehors et je suis happé par le changement de température. Je me dépêche d’enfiler ma veste. Tranquillement je la guide vers ce fameux café. Il me tarde déjà d’avoir devant la boisson chaude qui me fera oublier ce froid désagréable. Je n’ai jamais été un fervent amateur du froid. Bref je tente donc d’avancer assez vite sans pour autant la faire courir où lui donner l’impression qu’on marche anormalement vite.

Elle me demande dans quel parcours je suis et je réponds du tact au tac.

-Je suis en biochimie moléculaire. et toi?

JE garde bien sûr pour moi les motivations à cette matière particulière. Je ne vais quand même pas crier sur tous les toits que je suis un mutant qui comme je le soupçonne au pouvoir de faire bouger les molécules ou atome d’un objet pour l’arrêter ou le faire e≈exploser! J’ai déjà donné dans le regard c’est quoi ce monstre! Désormais je préfère éviter! Puis bon l’explication de mon don est pour le moment une simple théorie! J’ai déjà du mal à le maitriser alors le comprendre…

On est arrivé devant le café et je lui ouvre la porte. Mais sa main arrive aussi sur la porte et une fois de plus je me prends un coup de jus. C’est fou ce qu’il peut y avoir de l’électricité statique aujourd’hui. Je fronce un instant les sourcils. Pourquoi quelque chose me paraît si étrange chez cette fille.
Ma main qui avait sursauté au moment du coup de jus retrouve cependant très vite sa position de manière impassible. JE l’invite donc à entrer.

Alors qu’on s’installe je vois mon ami au comptoir. Je le salue de loin et déjà il prend son carnet pour la commande. Cependant son regard en dit long sur sa jalousie! Moi mon sourire lui dit clairement que j’ai parfaitement compris!

-Bonjour que puis-je pour vous.

-Salut vieux! Pour ma part comme d’habitude! Un grand café, des panaches ou des gaufres bref ce que tu as avec un jus de fruit du sirop d’érable et bien sur n’oublis pas par les céréales!

J’ai FAIM! je n’arrête pas de le dire! Puis avec mon frère cuisinier j’avoue avoir mal été habitué durant nos jeunes années ou monsieur s’entrainer!

Ma camarade demanda alors si dans le carrot cake il y avait du raisin. LA tête de mon ami valait tout l’or du monde! Je crois bien l’avoir une fois entendu nous dire que le carrot Cake sans gluten s’était juste pour les Bourges du quartier qui faisaient leur belle! Bon avec ça il va avoir une très haute opinion de ma nouvelle camarade! Qu’à cela ne tienne! D’un elle est mignonne et je n’ai pas l’intention de l’épouser non plus! De deux j’aimeraient surtout comprendre pourquoi elle ne vibre pas de manière continue et stable comme tout le monde. Quelque chose cloche et avoue que mon côté curieux reprend le dessus.

Il lui confirme qu’il n’y a pas de raisin. Et une fois sa commande prise en entier file préparer notre commande.

-Tu n’aimes pas le raisin? Ou tu fais attention à ce que tu manges?

Non bon je vous explique… Je peux pas lui demander : qu’est-ce qui cloche chez toi parce que tu vibres pas comme les autres! Sinon je devrais lui dire que je suis un mutant et en plus elle risquerait de mal le prendre; Mais si j’obtiens quelques infos peut-être que je saurais ce qu’il en est au final.

Bon, voilà une bonne chose de faite ! Je n’aurais vraiment pas voulu rater cette ma-tière juste parce que je travaillais seule… Mais c’est qu’en ce moment, j’ai d’autres chats à fouetter que de courir facebook à la recherche d’un partenaire ! Donc ce mec qui se propose de lui-même, ça m’arrange bien.
Bon, en vérité, je n’irais pas jusqu’à appeler ça de l’inquiétude. L’inquiétude, le stress, je ne sais pas vraiment quelle sensation ça donne… Je sais juste que grâce à lui, j’ai un problème de moins à résoudre ! Mais au fil des années, ces petites tournures de phrase me sont devenues de plus en plus naturelles.

Il me propose d’aller travailler autour d’un café. Si cette boisson est exclue, je com-prends très bien l’intention derrière cela. Et j’ai senti la faim tirailler mon ventre pen-dant toute la dernière heure de cours – le froid, la faim, la douleur : ce ne sont pas des émotions, mais des sensations, et celles-ci, je les comprends. Je crois qu’elles me donnent l’impression d’être un peu plus humaine, un peu moins automate.

Il me garantit que le café fait les meilleurs petits déjeuners du coin, et je lui adresse un sourire – c’est le moment de sourire, je crois. Quand j’étais gamine – enfin, après que ce truc aie commencé – mes sourires étaient apparemment un peu flippants, car ils avaient l’air bizarres, faux je crois. Mais je me suis entrainée encore et encore, de-vant la télé, devant mon miroir, dans ma famille – sans leur dire que je m’entrainais – et désormais je suis une experte en mimiques. Un sourire, c’est facile. Ce sourire en coin dont mon frère dit qu’il me fait une fossette adorable, personne n’en a jamais douté.
- Parfait !
Même maintenant, j’ai tendance à être économe avec mes mots. Moins on parle, et moins on risque de se trahir.

En passant la porte, et tout au long du chemin, j’évite soigneusement le contact de Mark. Il marche vite – mais pas démesurément vite non plus – et je suis le rythme.
Le problème avec l’économie de mots, c’est qu’on passe vite pour une associale. Et ça, c’est mauvais pour une réputation. Mais il y a une solution très simple à ce pro-blème : les questions. Les gens adorent parler, surttout d’eux-mêmes. Alors, je lui demande dans quel parcours il est. Il me répond qu’il est en biochimie moléculaire. A nouveau, je souris, presque machinalement – synchrone comme une danseuse qui compte les temps avant d’entrer en scène. Phrase, 3, 4, sourire-fossette.

- Biologie moléculaire. Avec une mineure en biochimie.
C’est la même chose, me direz-vous ? Et bien, pas exactement. Ce sont des do-maines très proches, des spécialisations du même master à vrai dire (j’ai étudié les deux domaines en licence, et lui aussi, c’est certain).

La biologie moléculaire étudie les mécanismes de fonctionnement des cellules au ni-veau moléculaire, et tout particulièrement les molécules porteuses de messages hé-réditaires : les acides nucléiques, ADN et ARN : leur structures, leur synthèse et les modifications ponctuelles survenant lors des transmissions du message génétique. C’est le parcours auquel je me destine depuis des années. Mes parents m’ont pous-sée vers une carrière de biologiste experte en génie génétique. Ils espèrent que je soignerais un jour le « mal du siècle » : la mutation.

La biochimie moléculaire est, pour simplifier beaucoup, la science qui étudie les réac-tions cellulaires et notamment les molécules constituves du corps humain et de l’alimentation – les glucides, les lipides, les protéines, les alcools, les enzymes – et leurs interactions. Le fonctionnement chimique du corps, en quelques sortes. Si, en biologie moléculaire, on étudie des molécules « statiques », avec une évolution au long cours, en biochimie moléculaire les changements sont constants et les molécules en mouvement permanent.

A Columbia, je m’étais vraiment spécialisée sur ma majeure. Je n’avais pas d’autre projet que de satisfaire à mes ambitions – les ambitions de ma famille.
Mais avec tout ce qui change pour moi ces derniers temps, j’ai ressenti le besoin de prendre cette mineure lors de mon transfert. La biologie moléculaire ne m’en appren-dra pas autant sur mon épilepsie que la biochimie moléculaire.

Bien sûr, je ne raconte rien de tout ça à Mark. D’ailleurs, je suis interrompue dans ma réflexion par un nouveau coup de jus. On a ouvert la porte en même temps, mince !
Je sais qu’il a remarqué – si j’avais un doute, son froncement de sourcils me rensei-gnerait – et qu’un manque de réaction serait suspect.
- Décidément ! je rigole doucement, pour faire diversion.
Du coup, je reste bien éloignée de la porte et le laisse l’ouvrir et me la tenir.

On s’installe à une table, et j’étudie le menu sans trop savoir ce que je vais y trouver. Bon, un carrot cake sans gluten, ça le fait ! Enfin, sauf s’il y a des raisins secs.
Pendant que je réfléchis, Mark commande du café, des gaudres, du jus de fruit et des céréales. Ben dis donc ! Lui quand il a faim il ne plaisante pas !
Et bien sûr, comme toujours, j’ai une sensation étrange que je suis incapable de nommer. Suis-je amusée ? Impressionnée ? Exaspérée ? Est-ce seulement positif ou négatif ? Je l’ignore, alors je décide qu’une réaction amusée serait de circonstance.
- Dis donc ! Quand tu dis que tu as faim, tu ne plaisante pas ! je taquine.

Et je demande s’il y a des raisins secs dans le carrot cake. Le serveur, qui est visiblement un ami de Mark, fait une sacré expression… Je réfléchis un instant, essaie de passer en revue mon répertoire mental… Et je finis par conclure qu’il est – proba-blement – quelque part entre la surprise, l’amusement et … le mépris… ? Bon, je n’en sais rien, tant pis.
Il me confirme qu’il n’y en a pas et je reprends :
- Alors je prendrais un carrot cake et une vervaine – sans menthe. Merci !

Et avec un sourire poli, je lui rends la carte.
Oui, ils ont de la vervaine menthe et de la vervaine seule. Et, si la vervaine est excel-lente pour moi, la menthe c’est plus délicat…

L’inconvénient des questions, c’est qu’on peut aussi nous en poser. Justement, Mark me demande si je n’aime pas le raisin – ou, en gros, si je suis au régime. Comme si quelques raisins secs seraient plus graves pour un régime qu’une part de gâteau… Mais bon, je suppose qu’il n’y connait rien en régimes – il n’a pas grandi avec ma mère, lui.
- J’ai quelques intolérances. Dont le raisin, et le gluten.

Je n’aime pas les mensonges, voyez-vous ? Oh, pas par principe, hein ! Je suis loin d’être une sainte. Après tout, je manipule les gens sans arrêt. Mais les mensonges, il faut les suivre et s’en rappeler, sinon on s’empêtre vite dedans ! La vérité, elle, est facile à tenir. Mais ça ne veut pas dire que cette vérité doit être complète… Et il est vrai que j’ai des intolérances… causées par mon épilepsie. Ou, plus précisément, des intolérances qui risquent de provoquer des crises.
Et l’avantage du mot intolérances, c’est que, si une minorité de gens les assimilent aux allergies (et elles sont parfois tout aussi graves), pour beaucoup de gens, quand on parle d’intolérances, on est juste « difficile ».

J’espère qu’il en restera là, et le meilleur moyen de m’en assurer est de reprendre en main la conversation.
- Donc…
Je n’ai pas le temps d’en dire plus que le serveur revient. Il amène à Mark une énorme tasse de café fumant, un grand verre de jus, une assiette avec ce qui m’a l’air d’être une montagne de gauffres au sirop d’érable et un grand bol de céréales. Le fumet chaud et sucré des gauffres me chatouille les narines. Ca sent bon. Mais je ne pourrais sans doute jamais goûter à leurs gauffres. Bon, au moins, je n’en suis pas frustrée, c’est déjà ça.

Le serveur pose ensuite devant moi un plateau plus petit : une assiette avec une grosse part de carrot cake. Un beau biscuit orange, un glaçage brillant au cream cheese, quelques graines de courge et pas un seul raisin sec en vue. C’est parfait ! Bon, ma mère m’engueulerait, mais ma mère n’est pas là.

Pendant que je contemple mon carrot cake, les gauffres complètement oubliées, le serveur verse l’eau d’une petite théière sur le sachet dans la tasse, et une bonne odeur de verveine se répand.
- Aspartame ? Il me demande, visiblement moqueur cette fois-ci.
Je secoue la tête, un peu trop vivement.
- Vous auriez du miel ?
Il grommelle quelque chose que je ne n’entend pas, lance un regard rapide à Mark, puis retourne vers le comptoir, d’où il ramène un coupelle de miel avec une cuillère.

Il la pose sur la table et lâche, un peu sèchement :
- Au bip, vous sortez le sachet.
Au bip ? Mais de quoi il me parle ?
Il me met soudain un petit objet métallique dans la main droite.

J’ai entendu dire que, quand on touche une clôture électrique avec son épaule droite, c’est dans le pied gauche qu’on ressent le choc – une sensation étrangement sourde. Je ne sais pas pourquoi j’y repense à ce moment là, alors que ma main gauche se met soudain à trembler.
Crise motrice focale… Je cache précipitamment ma main gauche sous la table, la serrant sur ma jambe pour essayer de l’immobiliser.

Et je pose l’objet sur la table. Je crois que c’est un chronomètre. Mais c’est difficile à dire, car sur l’écran led, des lumières rouges clignotent à toute vitesse et dans tous les sens. Je détourne rapidement le regard, et mon regard croise celui de Mark.
- Je crois que son chrono est cassé…
C’est bizarre, quand même. Il n’a pas vérifié, avant ?

Je suivrais bien avec ma montre mécanique, mais elle est sous la table, à mon poi-gnet gauche, et les tremblement de ma main ont ralenti, mais pas cessé complète-ment. Tant pis, je le ferais à l’œil.

Mais il est grand temps de dévier la conversation. Je demande donc à Mark :
- On commence à réfléchir, ou tu préfères manger tranquillement avant ?
Et, ayant lâché une question, j’attaque mon carrot cake. J’y détecte bien sûr les car-rottes, mais aussi des saveurs d’amandes et de noisettes, ce que je crois être du sucre de coco, et des épices. Comme je m’en doutais, le glaçage est au cream cheese et au sirop d’agave. Un pur régal.

Bon on est donc arrivé devant le café et il est temps de lancer la conversation. Elle commence en me demandant ce que j’étudie. Jusque-là facile! J’étudie la biochimie Moléculaire et je ne m’en cache pas! Bon par contre j’avoue garder pour moi la raison de ce choix. Ce que je veux faire plus tard de ma vie? Chercheur en quelque chose je suppose. Je n'ai pas réfléchi aussi loin. Non j’ai avant tout pensé à comprendre mon don… Comprendre comment il marche pour mieux le maitriser. Ce que je ferais une fois les études finit dépendrait du coup de la possible réponse que j’aurais eue à cette grande question. En parlant de réponse à des questions mystérieuses. Si je veux comprendre pourquoi elle vibre ainsi, je vais devoir en premier lieu la connaitre. Si au moins j’avais mieux compris minutes don je pourrais surement définir ce qui se passe chez elle mais je vais devoir à défaut du coup prendre des chemins détournés et donc mieux la connaitre. De ce fait j’en apprendrai surement plus sur moi!

Quand on ouvre la porte je reprends un coup d’électricité et je fronce les sourcils. Il y a un truc qui cloche mais je ne comprends toujours pas. QU’à cela ne tienne j’ai tout le temps du devoir du coup pour deviner! Je l’invite à entrer et sitôt installé je passe ma commande à mon pote. Je souris quand elle dit que je ne manque pas d’appétit! C’est bien l’une des rares qualités que m’a toujours trouvées mon frère! Quoi qu’il cuisine j’étais là pour le manger! Et ce qu’importent les quantités!

Pour sa commande elle chipote à savoir s'il y a des raisins etc.… Mon pote sur le point de craquer me lance un regard qui clairement dit : tu es sûr qu’elle en vaut la peine?!

Je souris à sa remarque parce qu’il ignore la raison de notre présence ici. Il sait que je suis un mutant ce n'est pas le souci, il l’est aussi. Mais lui ne voit pas les gens vibrer à chaque instant. Il n’a donc aucun moyen de comprendre ce qui me dérange chez elle.

Bon sa commande passée je décide de sauter sur l’occasion pour lui poser une question qui bien qu’Innocente m’en apprendrait peut un poil sur elle. Donc elle est intolérante au gluten et aux raisins entre autres choses. Je souris imaginant un instant la tête de Jaspers en entendant ça. Elle allait re-parler quand Alex (mon ami le serveur) revient avec nos commandes. Bon la table devient très vite très chargée quand MA commande arrivé! Mais ça ne durera pas je peux vous l’assurer.

Quand il lui propose de l’aspartame je pouffe légèrement de rire. Non je ne me moque pas d’elle. Mais plutôt de lui et de son… mépris pour ces filles-là! Et quand elle demande du miel à la place je me retiens carrément d’éclater de rire!

Il apporte le chrono pour sa verveine et alors que je suis toujours en train de lui lancer un regard amusé quand les choses s’accélèrent. Je n’ai pas saisi ni le déclencheur ni vraiment la nature des évènements, mais Alex est en train de partir en ronchonnant que je vois Victoria précipiter sa main sous la table. J’ai juste le temps de remarque à quel point sa main tremblait! Au point qu’à mes yeux elle en paraisse floue! Mais n’ayant aucune certitude tant tout ça c’est passé vite je ne peux que lui demander si ça va. Ce que j’allais faire! Mais elle me prend de vitesse en parlant du chronomètre.

-Oui on dirait qu’il est en cours circuit. … Attends je vais le rappeler si tu veux qu’il t’en donne un qui marche…

Je fais signe à Alex pour qu’il revienne?

Quand elle me propose de réfléchir au devoir j’avais presque oublié ce stupide devoir! Il me faut une seconde pour comprendre de quoi elle parle!

-Nan je suis un mec moderne moi! Je suis capable de faire plusieurs choses ne même temps t’inquiète! Alors… Tu as des pistes de réflexion?

Il était enfin temps de commencer à manger! À l'attaque!

A peine arrivée devant le café, je prends en main la conversation, histoire de diriger les questions, de le faire parler de lui. J’apprends qu’il est en biochimie moléculaire. Le parcours de ma nouvelle mineure, donc.

En entrant dans le café, on se reprend un coup de jus. J’hésite à l’ignorer, mais en voyant Mark froncer les sourcils, je lâche une petite remarque sur le ton de la plaisanterie. On s’installe et on passe commande - je n’ai jamais vu quelqu’un manger autant que lui !
Moi je galère avec la carte, mais finalement, je trouve un carrot cake sans gluten. Je me renseigne sur sa composition, et satisfaite de la réponse, je le commande.

Et là, c’est au tour de Mark de me poser une question, bien plus personnelle que la précédente. Je lui explique rapidement mes intolérance, sans mentionner leur cause - qu’il me croie difficile s’il veut, je m’en moque ! Puis le serveur amène notre commande, et me propose de l’aspartame. Je refuse un peu trop vivement, et j’entends Mark pouffer de rire. Entre ça et son sourire amusé - je crois que c’était un sourire amusé - quand j’ai parlé de mes intolérances… Il se moque, c’est ça, non ? De moi ? De qui d’autre en même temps ? Je ne vois pas bien ce que ça pourrait être d’autre - je doute qu’il s’agisse d’un rire de joie en voyant son repas ! Bon, après on ne sait jamais avec les gens.

Je m’apprête à dévier la conversation - autant ne pas le laisser rire à mes dépens plus longtemps ou poser d’autre questions - quand le serveur revient avec le miel. Il me donne une instruction en parlant de bip et me bazarde un truc en métal dans la main droite. Et là, ma main gauche se met à trembler. Crise motrice focale, j’analyse rationnellement. Mon problème avec les émotions n’a qu’un “avantage” : j’arrive en général à garder la tête froide, car je ne panique pas - ou, si je panique, je ne m’en rends pas compte. Je cache précipitamment ma main sous la table, en cherchant à l’immobiliser sur ma jambe.

Je pose le chronomètre sur sa table. Des lumières rouges clignotent à toute vitesse, dans tous les sens, et je détourne le regard. Les lumières clignotantes, c’est dangereux. Je le fais remarquer à Mark, perplexe tout de même. Le mec ne l’a pas vérifié ? Il ne l’a pas programmé avec une durée, d’ailleurs ? Comment se fait-il qu’il n’aie rien remarqué ?

Mark me propose de le rappeler pour un nouveau chrono. J’hésite à lui dire que ce n’est pas la peine, et finalement, j’accepte - autant lui dire tout de suite que son matériel est défaillant. Et si jamais il essaie de m’accuser d’avoir cassé son matériel, je lui filerais un billet de cinquante dollars pour racheter le chrono et un autre en pourboire, histoire qu’il n’aille pas raconter ça sur tous les toits. C’est ce que ferait ma mère.

Je demande à Mark sil est prêt à attaquer le devoir, puis je goûte mon carrot cake. Un délice !
Il plaisante - je crois ? - sur le fait qu’il est un mec moderne capable de faire plusieurs choses à la fois. Puis il me demande si j’ai des pistes de réflexion.
Je sors un gros bouquin de mon sac - à vrai dire, je dois me pencher pour le prendre de la main droite car mon sac est sur la gauche et que je dois encore dissimuler les spasmes de la gauche - et je le pose sur la table.

- Ces maladies mortelles qui ont apporté à l’homme des avantages génétiques… Il s’est volontairement éloigné de l’intitulé, mais ce bouquin est la base du sujet. Pour nos apports théoriques sur la recherche pré-existante, si on part de celui-ci et qu’on se penche sur ses sources et les ouvrages qui l’ont pris comme source, on aura largement la base.

Je le pousse vers lui et lui laisse le temps de jeter un coup d’oeil.

La survie du plus malade, Dr. Sharon Moalem et Jonathan Prince:

En vrai, sur ce thème là, la partie théorique va presque s’écrire toute seule. Enfin, il faudra faire un peu de recherche, mais ce livre est presque une carte.

- Pour la deuxième partie, il faut qu’on innove. Qu’on étudie quelque chose qui n’a jamais été abordé sous cet angle là. Je pensais à l’épilepsie.

J’avale une gorgée de verveine puis reprends pour préciser ma pensée.

- Environ une personne sur 26 aux Etats-Unis souffrira d’épilepsie à un moment ou à un autre dans sa vie. C’est plus que toutes les autres maladies génétiques que l’auteur ne mentionne pas - enfin, si on excepte celles qui amènent des troubles du développement intellectuel. Je sais pas toi, mais moi, je me sens pas qualifiée pour étudier Down par exemple.

Une nouvelle gorgée plus tard, je termine par un argument de choc.
- Et puis, je me suis déjà tapé un devoir sur l’épilepsie en licence. Ca nous fera ça de travail en moins, non ?
Et oui, je sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que ce mec là sera plus sensible à “moins de taf” qu’à “l’innovation scientifique. Appelez ça l’instinct.
- Mais, bien sûr, si tu avais autre chose en tête, n’hésite pas. je termine avec un sourire sympathique.

Sous la table, les tremblements de ma main se calment peu à peu, et j’étire mes doigts les uns après les autres.