but i got one thing right: you. (lara)

Lara était là, sous ses yeux, plus vraie que nature. Le cristal de téléportation rouge disparut aussi vite qu’il n’était apparu. Le temps avait cessé de s’écouler pendant qu’il la fixait, comme si le monde disparaissait autour d’eux. Et elle prononça son prénom, comme elle-seule savait le faire. Lui devait lutter pour ne pas laisser ses jambes se dérober sous ses pieds. Face aux larmes de la jeune femme, River n’était plus que colère. « Ne dis pas mon nom, pas comme elle le faisait ! Arrête ça ! » Il pointait le doigt vers son visage, submergé par tant d’émotions contradictoires. Un télépathe se payait sa tête, utilisait ses souvenirs pour fabriquer une réplique parfaite de sa petite sœur. Et pourtant… Elle avait l’air si réelle…

River l’attrapa par l’épaule, se faisant encore plus menaçant. « Laisse mon cerveau tranquille, tu m’entends ?! » La peau de Lara était si réaliste sous ses doigts serrés qu’il en eut un hoquet de stupeur. Le doute s’immisçait en lui – comment était-ce possible ? Se pouvait-il qu’elle soit vraiment là ? Non, Lara était morte. Il avait organisé lui-même ses funérailles, avec un cercueil vide pour toute mise en terre. Il l’avait vengée, avait tué de ses propres mains pour honorer sa mémoire.

Mais elle était là, sous ses yeux. Des larmes incontrôlables coulaient le long de ses joues. Il n’avait plus pleuré depuis le jour de l’enterrement, et s’était juré de ne plus jamais se montrer si faible. « T’es pas réelle. Lara est morte. T’es pas vraiment là. » Il avait cessé de crier, résigné à serrer Lara contre lui, à l’enserrer de toutes ses forces comme s’il la retrouvait vraiment l'espace d'un instant fugage. « C’est impossible, putain » continuait-il de répéter, partagé entre ses larmes et sa rage. La prison l’avait pourtant assez endurci pour résister à ce genre de conneries. Contre qui en voulait-il ? L’illusionniste ? Ses souvenirs de Lara ? Sa propre stupidité, d’oser laisser une infime partie de lui y croire ? Pourtant, serré contre Lara, il avait l’impression de vraiment pouvoir respirer pour la première fois depuis qu’il l’avait perdue.

Serré contre sa petite sœur, des larmes qui glissaient sur ses joues, River avait l’impression d’avoir régressé à une autre époque. Une époque durant laquelle il n’était pas encore devenu Gateway. Une époque plus simple, sans prison, sans alcool, sans… meurtre. Son seul désir, à l’époque, était de garder la petite à l’abri du danger, de la vie destructrice de leur parents. Mais il n’avait plus 16 ans. Et elle était morte. « Arrête. Arrête de mentir. » se contenta-t-il de répondre en la serrant plus fort contre lui.

Ses pensées se bousculaient dans sa tête. Il détestait l’espoir qui était en train de naitre en lui comme un brasier qu’il lui faudrait éteindre une fois l’illusionniste démasqué. Rationnellement, il savait qu’elle n’était pas là. Et pourtant, il était incapable de se décrocher de ses bras, tétanisé autour de son corps qu’il pensait ne jamais revoir ailleurs que dans ses souvenirs douloureux. River finit par la relâcher, poings serrés. Il ne savait toujours pas s’il avait envie de se jeter à ses pieds ou de lui planter un cristal de téléportation dans l’épaule pour prouver à l’illusionniste qu’il ne pouvait être manipulé de la sorte. Mais ses larmes disaient tout le contraire. Et les larmes de Lara, elle, lui paraissaient si réelles…

Le jeune mutant se perdit plusieurs secondes dans son regard, sans dire un mot. Plus les minutes passaient en la compagnie de Lara, plus les détails les plus infimes de sa petite sœur lui sautaient aux yeux. Des détails que sa mémoire n’avait pas emmagasinés mais dont il retrouvait les formes familières. Des détails qu’il n’avait pas retenus, et que l’illusionniste ne pouvait donc fabriquer à partir de ses souvenirs…
Il n’y avait pas d’illusionniste.

River sentit ses jambes se dérober sous ses pieds, assommé par cette réalisation. Lara était vivante. Étourdi, il se laissa tomber sur l’un des fauteuils de la petite salle commune. « Comment… » Sa voix se brisa. Il posa une main contre sa tempe droite pour la masser, assailli par une migraine soudaine. « Comment est-ce possible ? J’ai vu le corps de maman et celui de ton père. Les Purifiers ont détruit la maison, ils vont ont… » Il s’interrompit, repoussant l’image mentale de leur cadavres lynchés. « Comment as-tu survécu ? » se contenta-t-il de demander, chassant d’un geste rageur les perles salées de ses joues humides.

Pendant toutes les explications de sa petite sœur, River resta parfaitement stoïque dans le vieux fauteuil en cuir. Pour une raison qui lui échappait, il était incapable de la regarder et se contentait de fixer un point lointain, le regard dans le vide. Les mots de Lara se répétaient dans ses esprits comme des échos désagréables. Purifiers, maman, Aurélie, bord de mer… Il n’en revenait pas. « Donc… si je comprends bien… » Sa voix en tremblait tant il peinait à accuser le coup. « Tu as préféré vivre avec une inconnue qu’avec la chair de ta chair ?! »

Son visage semblait déformé, la colère prenant le pas sur sa tristesse. Il donna un grand coup dans l’accoudoir et se leva d’un bond pour se rapprocher d’elle avec l’envie irrépressible de hurler. « Tout ça pour quoi, hein ? Une nouvelle famille, un appartement de luxe et la vie de princesse ?! » Tout ce que River n’aurait jamais pu lui offrir. Mais comment avait-elle pu l’abandonner de la sorte pour s’enfuir avec ces inconnus plein aux as ?! Il secoua la tête. Il ne la comprenait pas. Ne savait-elle pas tout ce qu’elle représentait pour lui ? Ses cris étaient ceux d’un animal blessé, comme frappé en plein cœur. « Moi ? Ma vie ? Ma vie c’est de la merde, Lara ! Ma putain de vie s’est arrêtée quand tu m’as fait croire que t’étais morte ! »

Ses cris avaient commencé à attirer les regards d’autres élèves qui ouvraient les portes de leur chambre pour regarder ce qui se passait. Mais River ne les voyait pas. Toute son attention était fixée sur sa petite sœur, sa petite sœur censée être morte. « T’as pas idée de ce que j’ai fait pour toi bordel ! De ce que ça m’a fait, à moi, et de qui je suis devenu à cause de tout ce merdier ! »

Il fallait qu’il frappe dans quelque chose où il allait exploser. Le grand brun attrapa la table basse sur laquelle étaient posés une lampe et des livres et, dans un geste rageur, la retourna contre le sol à grands fracas en poussant un hurlement. Il peinait à mettre des mots sur ce qu’il ressentait. Lana était là, devant lui, bien vivante. Il aurait tué pour vivre ce moment – il avait tué pour elle. Et pourtant… Tout ce qu’il avait en tête, tout ce qui le faisait trembler jusque dans ses os, c’était la rage de ne pas avoir été assez pour elle. « Comment t’as pu me faire ça, Lara ? » La phrase, comme un couteau en plein cœur, le fit vriller. Il se laissa tomber, à genoux devant elle, visage enfoui contre ses cuisses.

Le visage enfoui contre le corps si familier de sa petite sœur, River pouvait toujours sentir la pièce tourner à toute allure autour de lui au point de lui en donner le vertige. Avec un peu de chance, un malaise finirait par l’emporter et il n’aurait plus à vivre ça – ce mélange atroce de deuil, de trahison, de joie de la retrouver, toutes ces émotions contradictoires qui entraient en collision et se battaient l’une contre l’autre pour prendre le dessus sans jamais y parvenir. « Tu comprends pas Lara… Quand j’ai appris que t’étais morte, une partie de moi est morte aussi. »

Il repensa à la rage qui l’avait submergé, quand il avait retrouvé les Purifiers tenus pour responsables de son meurtre. Et, pire, le plaisir malsain qu’il avait ressenti en faisant éclater leur corps à l’aide de ses cristaux de téléportation. Mais Lara était toujours là, saine et sauve. « Tu m’as tellement manqué putain, tu peux pas imaginer l'enfer que ça a été sans toi. » finit-il par admettre d’une petite voix triste, mais sans oser soutenir son regard.

River se laissa tomber sur le côté. Cet ascenseur émotionnel permanent l’avait vidé de toute énergie. Il poussa négligemment la table renversée du bout du pied pour libérer de l’espace et remonta les genoux jusqu’à sa poitrine. Le mutant fixait un point du mur, l’arrière de la tête appuyé contre les jambes de Lara. Comment faire sens de cette impossible situation ? Il essayait d’assembler les propos de Lara comme les pièces d’un puzzle qu’il ne comprenait toujours pas totalement. « Mais, qu’est-ce qu’elle te veut, cette Aurélie ? » En prononçant son prénom français avec difficulté, il se souvint qu’elle était décédée. « Enfin, voulait. »

Il haussa les épaules. Une forme de jalousie lui dévorait les entrailles rien qu’à l’idée qu’elle ait pu lui voler sa sœur pendant ces quelques années. « Pourquoi elle t’a recueillie je veux dire ? » Le monde l’avait assez endurci pour qu’il sache que personne ne fait rien sans rien vouloir en retour. Et si elle avait accueilli un trio d’enfants sous son toit pour les entrainer, c’était forcément parce qu’elle avait des plans pour eux. « Ils sont devenus quoi, les autres élémentaires ? »