Jasper Walters n’avait pas besoin d’une raison. C’était ce que racontaient sa petite soeur, les voisins du vieil immeuble du 14, Verona Street, ses anciens instituteurs, ses collègues de restauration, et désormais, les quelques personnes qui avaient appris à le connaitre depuis son arrivée à l’Institut Xavier. Celui qu’on appelait Stir Chef n’avait pas besoin d’une raison - pour rôtir, griller, sauter, caraméliser et faire de toute cuisine son royaume. Quand Jasper était heureux, il cuisinait. Quand il était triste, il cuisinait. Quand il était inquiet, il cuisinait. Et quand il avait mal dormi… il cuisinait aussi.
Cette nuit, justement, Jasper avait très mal dormi. La veille à peine, il avait appris que son petit frère, Mark, avait été vu fréquentant des gens peu recommandables… Un gang, ou une simple bande de jeunes mutants désabusés ? C’était difficile à dire, mais cela avait gardé Jasper éveillé la majeure partie de la nuit - et même lorsqu’il s’était endormi, ça n’avait pas été de tout repos…
Finalement, vers trois heures du matin, Jasper en avait eu marre. Il s’était levé, avait enfilé un t-shirt et une veste de cuisine sur son pantalon de pyjama, en veillant à ne pas réveiller sa petite soeur qui somnolait paisiblement. Puis il était descendu dans son domaine. La cuisine de l’Institut n’était pas beaucoup plus grande que celle de son restaurant. Trop grande pour être gérée par un seul cuisinier, mais grâce à son équipe de choc, Jasper s’en sortait.
L’un des fours préchauffait à 150 °C. Dans la poêle, le veau osso bucco mijotait doucement dans du vin et de la purée de tomate avec des plantes aromatiques. Le ragu dégageait un fumet des plus apétissants, amplifié à chaque fois qu’une spatule solitaire venait le remuer.
Debout devant le plan de travail, Jasper pétrissait une boule de pâte avec énergie, en essayant de se convaincre qu’il n’était pas là à cause de son frère. Après tout, la cuisine, c’était toute sa vie. Il n’avait pas besoin d’une raison. Son frère était adulte maintenant, et s’il voulait être un imbécile, ce n’était pas son problème. Pourtant, il martelait la pâte avec une violence inhabituelle.
Même si Jasper refusait de se l’avouer, il était descendu cuisiner parce qu’il avait bien besoin d’une distraction. Un peu de conversation aurait été parfait, mais son meilleur ami, Eddie Legant, n’était pas toujours là attendre ses allées et venues. Il menait sa propre vie.
Un minuteur à la voix de grand-mère chaleureuse s’exclama “Ca fait quarante minutes, mon grand ! La première fournée est prête !”
“Merci Minnie !” lança le jeune homme à l’appareil qui avait déjà repris son immobilité. Il ouvrit ensuite la porte d’un autre four et en sortit un grand plat. Le fromage doré reflétait la lumière de la lampe, laissant apparaitre ici et là des éclats de sauce tomate, des carottes, des champignons, et bien sûr des morceaux de boeuf osso bucco. L’odeur était bien plus prenante que celle qui mijotait dans la poêle. Il mit le plat de lasagnes à reposer sur le plan de travail, et les deux autres également, puis éteignit le four.
Il recommençait à pétrir la pâte avec énergie lorsqu’un bruit lui fit lever la tête.