up in the air, out of my head (libre)

Cet endroit a beau avoir tout pour plaire, y trouver le sommeil restait compliqué... Ce devrait être un lieu où l'on se sent chez soi. Mais difficile d'être réellement à l'aise entourée d'autant de mutants. Toute la journée je m'échinais à éviter les contacts, à mesurer chaque approche. Un manque d'assurance que je tentais maladroitement de masquer. La plupart mettaient ça sur le compte de ma récente arrivée. Mais après plusieurs mois, cette excuse commençait à faner.

Les yeux rivés sur les lignes d'un livre récemment paru sur la possible cohabitation harmonieuse entre humains et mutants, je ne remarquai pas de suite les lueurs qui traversaient la fenêtre de ma chambre. Volutes violacées dont le mouvement capta mon attention.

Intriguée, je m'approchai de la vitre. Une curiosité mal placée ou un sens de l'inquiétude exacerbé ? Quoi qu'il en fut, je mis une laine sur mes épaules et me décidai à aller voir ce qui se tramait. Certes, j'aurais pu simplement signaler l'anomalie et rester à l'intérieur. Cependant, je ne voulais pas déranger les autres inutilement. Car si ça se trouve, ce n'était rien... Un bête reflet ou que sais-je d'autre.

Une fois le parc traversé et l'orée abordée, je vis avec précision River blessé au sol. Sans réfléchir, je me précipitai pour lui venir en aide. "River ! Ça va ? Que s'est-il passé pour que tu sois dans cet état ?" M'enquis-je une fois à sa hauteur. Doucement, je m'agenouillai pour m'approcher. Au jugé, il avait l'air exténué, peinant à respirer et souffrant.

La Terre semblait tourner sous River alors qu’il fixait les étoiles en reprenant son souffle. Chaque respiration le faisait grimacer, mais ça n’était pas la première fois que la vie le mettait par terre. Il avait appris à serrer les dents en prison, quand le caïd de la cellule d’à côté voulait marquer son territoire en lui mettant une raclée. Ça ne l’avait jamais empêché de se relever – mieux, cette expérience l’avait motivé à prendre des cours de boxe dont il était ressorti transformé physiquement et bien plus fort.

Une voix féminine le tira de ses rêveries. Il vit bientôt le visage angélique de la jolie Eliott se glisser près de lui. Pourquoi fallait-il toujours que les plus belles femmes soient systématiquement témoins de ses moments les plus humiliants ? « Salut, Eli… » Le mutant se releva en grimaçant, chancelant légèrement. Il épousseta la terre qui recouvrait en partie ses vêtements sales, ignorant la douleur lancinante que lui infligeaient ses côtes droites. Il détestait avoir l’air faible, surtout face à elle. Melia. Lorsqu’Eliott était arrivée à l’Institut, l’ex-détenu avait beaucoup entendu parler de la fameuse mutante capable de booster les pouvoirs des autres mutants. Face à elle, il essayait toujours de se montrer sous son meilleur jour. Savait-elle seulement la mine d’or qu’elle représentait pour les mutants comme lui ? Quand la guerre avec les homo-sapiens finirait vraisemblablement par éclater, réalisait-elle que c’étaient les pouvoirs comme le sien qui feraient pencher la balance face aux sentinelles ?

Il lui esquissa un petit sourire dans l’obscurité. « Rien de grave. Je m’entrainais, mais je suis tombé. » Il espérait qu’elle n’ait pas vu cette scène ridicule. « Et toi, qu’est-ce que tu fais par ici ? Tu ne devrais pas dormir ? » Il y avait un banc pas loin d’eux, mais River avait trop mal pour marcher jusque là-bas dans l’immédiat. Dans un crépitement carmin, il fit apparaitre un portail de téléportation et réapparut un peu plus loin, sagement assis sur le banc. « Tu viens ? On voit mieux les étoiles d’ici ! » lui lança-t-il en gesticulant. Fausse excuse pour rester immobile, mais c’était la seule qui lui était passée par la tête.

River était mal au point mais semblait gérer autant la douleur que l'échec. Habitué à encaisser les coups, sans doute. Rares étaient les mutants à avoir échappé aux affres de la vie. De part leur nature ou par la façon dont les autres voyaient leur nature. Il fallait que j'accorde ceci à ma mère : bien que j'avais souffert de rester discrète sur qui j'étais vraiment, au moins j'ai pu avoir une enfance normale. Des amis qui ne me jugeaient pas, une famille qui ne me rejetait pas.

Regard inquiet, je n'osai pourtant pas approcher plus du jeune homme. Un geste de recul assez naturel quand il se redressa. Comme pour lui laisser de la place et ne pas l'étouffer. Ne pas risquer de l'effleurer inutilement. Les explications fournies me laissèrent perplexe. Des sessions d'entraînements étaient prévues pour les étudiants en journée. Ce n'était pas en pleine nuit, seul et loin de toute aide possible qu'il fallait se risquer à des expériences incertaines... Quelle inconscience ! Une imprudence qui me terrifiait car j'avais vu ce qui pouvait se passer quand le contrôle était perdu.

Et pourtant, ce genre d'imprudences étaient également ce qui pouvait se montrer exaltant dans l'utilisation d'un pouvoir. Le fait de n'avoir pour limite que ses propres capacités et pouvoir sentir le frisson du risque. Une part de moi jalousait cela, à n'en pas douter. "Je n'ai jamais été une grande dormeuse, faux. Mais toi en revanche, tu ne devrais pas être dehors à t'entraîner tout seul à une heure pareille, il pourrait t'arriver un accident grave et personne ne s'en rendrait compte", lançai-je avec une légèreté toute mesurée.

Le jeune homme se téléporta grâce à son portail. Pour frimer ou simplement parce qu'il se remettait encore de sa chute ? Arrivée un peu trop tard, je n'ai pas pu voir de quelle hauteur River était tombé. Je cillai en expirant un léger sourire. Ne valait-il pas mieux pour lui d'aller directement à l'infirmerie ? "Ok, soupirai-je en venant le rejoindre. Tu n'es pas le genre de gars que l'on imagine contempler les étoiles", le narguai-je en pensant que cette invitation était une excuse pour ne pas avoir à se déplacer tout de suite.

Installée sur le banc, à quelques centimètres de lui, je levai la tête vers le ciel. Il est vrai qu'ici, on pouvait admirer les étoiles sans être dérangés par la pollution lumineuse et tout ce que la ville impliquait. "Tu penses qu'un jour tu pourrais être capable d'aller tout là-haut ?" Demandai-je innocemment, un air rêveur.

Eliott essayait de lui faire la morale, ce qui arracha un grand sourire à River. C’était la première fois qu’il la voyait se comporter comme une institutrice. Mais elle n’était pas enseignante dans l’enceinte de l’établissement – du moins, pas encore. Et elle n’avait donc aucune véritable autorité sur Jackson, qui décida donc de la rembarrer avec un petit air narquois. « Tu vas me dénoncer ? J’ai suuuper peur. » Il fit mine de trembler comme une feuille mais s’interrompit brusquement, la douleur le faisant toujours grimacer au moindre mouvement. Il essaya de se rattraper en ironisant. « Qu’est-ce qu’il va faire, McCoy, en apprenant que j’ai osé utiliser mes pouvoirs au clair de lune ? Me mettre une heure de colle ? » Après un séjour en prison et des mois passés avec un collier inhibiteur de pouvoirs autour du cou, plus grand-chose ne lui faisait vraiment peur, à part être renvoyé au trou. Mais McCoy n’était pas si cruel – et c’était probablement ce qui le rendait si faible aux yeux de River.

Accoudé contre le dossier du banc, il contemplait la voute céleste quand la belle Melia vint enfin se joindre à lui. Il ne put retenir un petit rire amusé à ses remarques. Elle avait vu droit dans ses mensonges : regarder les étoiles n’était qu’une bonne excuse pour rester immobile. « Tu me cernes beaucoup trop bien, je crois. T’es sûre que tu n’es pas une télépathe cachée, en fait ? » Il planta ses yeux dans ceux d’Eliott. Bon sang ce qu’elle était belle sous les reflets de la lune. Discrètement, il fit mine de s’étirer pour passer son bras dans le dos de la mutante et se rapprocher d’elle. Que risquait-il, à part un râteau ? Qui ne tente rien n’a rien.

Admirer les étoiles semblait la laisser rêveuse. S’il faisait abstraction complète de la douleur que lui causaient ses hématomes, River en aurait presque trouvé l’ambiance romantique. Il prit une voix suave pour répondre à la jeune femme. « J’ai toujours rêvé de visiter la lune, tu sais ? D’expérimenter ce que ça fait, ce changement de gravité… Et surtout, de voir la Terre, depuis là-haut. J’suis sûr que depuis un tel perchoir, ses petits soucis deviennent bien insignifiants. Mais, c’est trop loin, je n’y arriverai pas. » A quelle distance était la lune, déjà ? Trois-cent-mille kilomètres et des poussières ? Son champ d’action, à lui, s’avérait plus proche des cents kilomètres. A moins que… « Enfin, sauf si tu me files un petit coup de main avec ton pouvoir… T'es pas d'humeur à aller sauter par dessus un cratère lunaire, à tout hasard ? » Son ton était celui de la plaisanterie mais il était plutôt sérieux, au fond. Il n’avait jamais vu les pouvoirs de Melia en pleine action : à quel point était-elle capable de booster les capacités d’un autre mutant ?

Une crédibilité toute relative, bien évidemment. Mais je ne jouais pas ce rôle pour paraître suffisante. Uniquement pour son propre bien. Sa réaction puérile me fit sourire en roulant les yeux au ciel. "Non, mais il pourrait te faire comprendre que les cadres installés ne sont pas là pour ennuyer, juste pour nous protéger. Mais je ne suis pas du genre à cafter quoi que ce soit", répondis-je sans détour.

Quant à sa posture, calculée pour lui faire le moins mal possible, elle n'avait rien de naturelle. De quoi mettre la puce à l'oreille. "J'étais institutrice dans une école élémentaire, je suis habituée à observer et à comprendre. Les enfants ne sont pas toujours doués pour s'exprimer. Non pas que tu sois encore au stade enfant", le charriai-je impunément.

Il instilla une proximité qui me sembla déplacée. Ce n'était pas une question de statut, mais plus de familiarité et de risque. Je n'étais pas à l'aise à l'idée d'être touchée. Mon pouvoir avait vrillé une fois via un contact et depuis, j'évitais au maximum de reproduire le schéma. L'utilisant de préférence à distance ou bien avec des personnes dont je connaissais la capacité de contrôle...

Mais l'inconfort contre lequel je luttais était rapidement éludé par le ciel qui s'offrait à notre admiration. River me confia son envie folle de visiter l'astre nocturne. Un voyageur ? Voilà qui était étonnant. Même en luttant contre les clichés, River ne donnait pas cette impression de vouloir autre chose que se battre pour ses idées, ses ambitions. Je l'écoutais avec attention, lui dardant un regard surpris à sa proposition. "Tu veux que je t'envoie sur la lune ? Ris-je un instant. À une telle distance je serai incapable d'exercer le moindre pouvoir sur toi, et même si tu visais moins haut, les variations de distances rendraient ma concentration trop instable et tu risquerais de ne pas pouvoir suivre une cadence changeante. La seule solution serait que vienne avec toi !" Lançai-je, amusée, comme si ce n'était de toute façon pas une option envisageable. Avant de m'arrêter et de me répéter sa phrase dans la tête et de comprendre qu'il l'avait induit dans sa proposition.

Un hochement de tête cachant une réflexion intense. Cela pouvait paraître idiot, mais oui, ça me demandait d'y réfléchir un instant. "Je n'ai jamais fait ça... Je veux dire... traverser des portails", me faisais-je curieuse comme si l'idée me paraissait aussi folle qu'inconsciente. Si ça se trouve, ce n'était rien et totalement banal comme sensation. J'ignorais à quoi m'attendre mais l'idée de le découvrir s'était plantée dans mon esprit.

River afficha un sourire amusé quand elle le charia sur ses réponses enfantines. Il s’enfonça un peu plus dans le banc, la douleur toujours bien présente, légèrement tourné vers elle pour l’admirer. Eliott lui confirma qu’elle était institutrice – les rumeurs étaient donc vraies. « Comment tu t’es retrouvée dans cet asile de fou alors, si tu avais une petite vie bien rangée d'instit' ? » Lui-même avait du mal à concevoir que des adultes normalement constitués puissent volontairement rejoindre l’Institut. Des parias de la société, bleu et avec des poils partout sur le corps comme McCoy, pourquoi pas. Mais elle… Elle aurait pu mener une vie tout à fait normale parmi les sapiens, si elle l’avait voulu. Personne ne se serait jamais douté de rien.

Le grand brun tiqua lorsqu’elle s’amusa de ses réflexions sur un voyage lunaire. « On est des mutants, le monde nous déteste. Si nos pouvoirs ne nous permettent pas de faire des trucs de dingue au cours de notre vie, alors où serait la justice ? » Il haussa les épaules. Élevé dans un foyer mutant, il avait usé de sa mutation sans retenue depuis qu’elle était apparue. « Je t’emmène visiter les étoiles quand tu veux… » River avait failli dire septième ciel mais avait décidé de changer de formulation à la dernière seconde, après avoir remarqué le langage corporel fermé d’Eliott. Les filles lui résistaient rarement, mais s’il devait se montrer un peu plus subtil avec la jolie brunette, il avait tout son temps. « Tu sais, mon pouvoir n’a rien de sorcier. Pas comme le tien, bien plus mystérieux. Comment ça marche, est-ce que c’est juste une question de distance ? Se tenir près de toi suffit à voir sa puissance augmenter ? » Ses questions n’étaient pas des plus subtiles, mais comment la jeune femme aurait-elle pu ne pas les trouver légitimes ?

Qui ne tente rien n’a rien. River lança regard à la lune, comme pour l’implanter dans son esprit. Des souvenirs de cratères blancs lui revenaient en mémoire, tout comme le drapeau américain planté dans la terre lunaire. La visualisation était un aspect capital de son pouvoir, nécessaire pour lui permettre de placer l’ouverture de son vortex. Il prit une profonde inspiration et fit apparaitre un cristal semblable à du rubis dans la paume de sa main, qu’il lança dans les airs. Le cristal explosa dans un crépitement rougeâtre, mais aucun portail n’apparut. River haussa les épaules. « Raté. T’as raison, c’est peut-être un peu loin, même en me tenant à tes côtés. »

Mais il ne pouvait en rester là. D’une manière ou d’une autre, il fallait bien qu’il trouve une manière d’impressionner Eliott. « Tu veux voir un truc cool ? » lui murmura-t-il en haussant les sourcils d’un air mystérieux. Un nouveau cristal apparût dans sa paume, qui éclata en un portail juste devant eux. Celui-ci menait au cœur du lac situé de l’autre côté du parc. Plongé dans les eaux froides, le portail s’ouvrait donc sur un mur liquide parfaitement immobile et vertical. River en caressa la surface du bout des doigts, causant de petites ondes sur le mur d’eau lisse. Au loin, on devinait la forme de petits poissons qui approchaient, intrigués par la lumière rouge. C’était comme être face à un gigantesque aquarium vertical, flottant en plein milieu d'une zone de vide. « Vas-y, essaye. Tu peux même passer ta main à travers, si tu veux. »

Une question personnelle. Bien trop personnelle à mon sens alors qu'en soit, elle était tout à fait anodine et en soit, pouvait être intéressante. Savoir quelles raisons nous avaient conduites ici, cela avait un intérêt certain. Mais j'éludai la question avec un sourire incrédule. Relater les erreurs, les ratés, appuyer la pensée des êtres chers laissés derrière, éloignés... ça n'avait rien d'évident. Peut-être était-ce un signe de faiblesse, d'une fragilité trop exacerbée, mais toujours est-il que je ne me sentais pas de partager cela avec lui. "Cet endroit n'a rien d'un asile de fous, c'est plus un refuge", répondis-je bien trop évasive pour que cela n'évoque de réelle idée.

Ce qui me parla bien plus fut l'idée de pouvoir profiter de nos capacités à défaut d'être acceptés. De quoi tenir de la folie pour certains dont les pouvoirs étaient particulièrement dangereux. Mais il fallait avouer que se réprimer avait un côté frustrant qui pesait parfois. Comme une courbature, une tension... Une sourire gêné nimba mes pommettes d'un léger rose, presque coupable d'être intéressée par l'idée de voir les étoiles de près avec lui. Un peu de rêve, de légèreté.

Chaque pouvoir avait son appréciation, une manière d'être appréhendée et vécue par son détenteur. Le mystère trouvait son miroir. "C'est plutôt facile pour moi. Il s'agit d'une concentration, je n'ai qu'à me focaliser sur la personne que je veux booster. Cela peut même s'étendre à plusieurs personnes mais c'est beaucoup plus compliqué à maintenir. L'effet et bien plus intense quand je touche la personne", expliquai-je en venant poser ma main sur la sienne avec un sourire encourageant. Mes yeux se nimbèrent d'une lueur lumineuse, tout comme la paume de ma main au contact de River. Et ce dernier tenta sa chance.

Un cristal se matérialisé. Une énergie qui m'était inconnue. Je maintins ma concentration tout en suivant la trajectoire du projectile du regard. Mais... rien n'apparut. Une moue déçue pour lui. Il faudrait bien plus que ça pour toucher la lune. Cependant, c'était amusant d'imaginer que ça puisse marcher un jour. Le contact se brisa et mes pupilles regagnèrent leur couleur naturelle. J'acquiesçai à son air mystérieux pour savoir ce qu'il avait en tête. Un portail se dessina à la verticale juste à côté de nous. Intriguée, je m'approchai. Subjuguée, je ne me fis pas prier pour essayer de passer ma main dans le portail. Quand bien même j'imaginais le pire s'il venait à céder alors que ma main était de l'autre côté... La sensation était étrange, vraiment perturbante mais amusante. Je souriais comme une gamine découvrant un arc-en-ciel. Mes doigts firent quelques mouvement dans l'eau, ce qui générait des ondes venant éloigner les poissons qui nageaient non loin de notre position. "C'est dingue ! Froid, mais dingue", me mis-je à rire avant de retirer mon bras de l'eau.

Plantée là à côté de River, je sentis soudainement un silence s'installer. Étrange car il s'était fait plutôt bavard. "J'ai l'air bête maintenant avec mon bras mouillé !" Déclarai-je d'un air amusée. "On ferait mieux de rentrer, c'est un coup à ce que j’attrape froid", servis-je en excuse sans pour autant bouger. Demande-lui, me susurrai une voix intérieure. Je n'osais pas trop et cela devait me donner l'air d'une idiote... mais je n'avais pas l'audace de lui poser la question. La part d'enfant aventureuse qui était en moi voulait tenter l'expérience que je le soupçonnais d'avoir faite avant de se blesser. Se laisser tomber dans un portail et ressortir d'un autre, enchaînant ainsi les saut et augmentant la vitesse comme un Portal en vrai ! Stupide. Bien trop stupide. Je me résignai, restant silencieuse.

Eliott en disait relativement peu mais la passion qu’elle insufflait dans ses propos suffirent à River pour comprendre à quel point l’Institut comptait pour elle. Il aurait aimé ressentir la même chose, le même attachement idéologique à ce gigantesque manoir. Mais pour River, l’histoire était bien différente. L’Institut Xavier ressemblait davantage à une nouvelle prison qu’à un havre de paix. « Un refuge ? » Ce simple mot lui donnait envie de crier. C’était une cellule à ciel ouvert, tout au mieux. « Parle pour toi. » Il s’interrompit avant d’en dire plus. Eliott n’avait pas besoin de savoir qu’il venait de sortir de prison et qu’il se trouvait présentement coincé dans un programme de réhabilitation attenant à l’Institut. Il préféra garder le silence, de peur de perdre immédiatement le peu de confiance qu’elle pouvait lui attribuer.

Quand la main d’Eliott se posa contre la sienne, le mutant put immédiatement sentir tous les poils se hérisser le long de ses bras. Une énergie étrangère avait commencé à fusionner avec la sienne, dopant son pouvoir de manière exponentielle. La sensation était incroyable, et son sourire s’étira. La mutation de la jeune femme était absolument délirante, le plongeant dans un moment particulièrement jouissif de puissance. Et même s’il ne parvint pas à leur ouvrir un portail vers la lune, l’énergie qui lui parcourait le corps valait bien toutes les défaites du monde. Il aurait rapidement pu devenir complètement accro à cette sensation si elle n’avait pas rompu le contact quelques instants plus tard.

Maintenant qu’ils étaient tous deux face au portail qui s’était ouvert au cœur du lac, River se délectait des réactions de la jolie brunette. Mais voilà qu’elle voulait rentrer à l’Institut, prétextant le froid de l’eau sur son bras. Le grand brun, lui, n’était pourtant pas du tout près à mettre fin à leur discussion. « Si je trouve un moyen de le sécher illico-presto, tu es obligée de rester avec moi, pas vrai ? » Il avait un petit air facétieux et se concentra. Le portail qui menait au lac disparut et un nouveau cristal se forma entre ses doigts. Il le jeta devant eux et, dans un petit feu d’artifice rougeâtre, un nouveau vortex s’ouvrit sur une plage déserte. « Charleston, Caroline du Sud » expliqua-t-il simplement à Eliott en passant la main à travers le portail pour sentir sa peau caressée par des vents chauds. Il y faisait encore presque 30 degrés. « J’aurais voulu ouvrir un portail en plein milieu des dunes du Sahara, ou bien face aux magnifiques paysages d’Hawaï, mais c’est un peu trop loin pour moi malheureusement. »

Il fit deux pas en avant et traversa le portail, se retrouvant les pieds dans le sable et le visage illuminé par un petit feu de camp allumé par des touristes un peu plus loin. L’un d’eux jouait du ukulélé dont les notes résonnaient jusque dans son portail de téléportation. River tendit la main vers Eliott qui, elle, se trouvait toujours dans la pénombre nocturne du parc. « Allez, viens. » Pour l’aider à se décider, il l’attrapa par la main et la tira gentiment dans sa direction, refermant le portail derrière eux. Il se laissa alors glisser contre le sable, s’asseyant en tailleur pour faire face à l’océan et regarder les étoiles scintiller au-dessus des vagues de l'Atlantique. « Tu t’es retenue de dire quelque chose tout à l’heure, non ? Ton regard paraissait un peu… absent. A quoi tu pensais ? »

Mon invitation à la sagesse ne fit pas mouche. Faussement embarrassée,je lui adressai un sourire complice à son idée saugrenue. Après quoi, je compris qu'il était en réalité tout à fait sérieux sur sa proposition. Les yeux ébahis, je n'avais absolument aucun argument à présenter en faveur d'un retour au bercail !

L'hésitation se lisait toutefois dans mon regard, comme une fillette devant sauter d'un toboggan de six mètres. River allait avoir une sérieuse mauvaise influence sur moi... j'espérais qu'à défaut, je puisse en avoir une bonne sur lui si jamais les choses venaient à dégénérer. Pour l'heure, il décida pour moi. Sans lui opposer de résistance, je le suivis au travers du portail, sentant l'énergie m'envelopper et me recracher sur cette plage de Caroline du Sud. C'était absolument fou ! Un voyage qui me rendait pour le moins euphorique. Si River s'assit après notre atterrissage, je pris le temps d'enlever mes chaussures et de sentir le sable fin se glisser entre mes orteils. Souriant comme une gamine avant de tourner sur moi-même pour faire se lever les grains. "Il y a une seconde on était au parc et on se retrouve sur une plage paumée avec une guitare en fond sonore et l'océan comme panorama, c'est hallucinant", m'évadai-je à voix haute.

River se faisait observateur, contemplatif face à cette vue qui s'offrait à nous. "Vraiment ?" Répondis-je en faisant l'innocence face à sa perspicacité. "Ça ne devait pas être important. Et certainement moins délirant que se retrouver au bord d'une plage au fin fond d'un autre état !" Je hochai la tête en me pinçant les lèvres à considérer que c'était bien stupide de ne pas lui répondre honnêtement. "Je voulais juste... c'est bête, j't'assure ! Je voulais voir quelle sensation ça faisait d'être lancé dans une chaîne de portails. Tomber comme ça, encore et encore", avouai-je en venant me laisser tomber à côté de lui, prête à recevoir ses moqueries. Sans penser au sable qui s’immiscerait dans mes mèches châtaigne, je m'étendis sur le sable encore chaud de la journée. "Tu dois me prendre pour une fille naïve, à des années lumière de ce qu'on imagine d'une prof, pas vrai ?" Lui demandai-je d'une voix douce et amusée. Et il n'aurait peut-être pas tord de me voir ainsi. Les enfants de la pseudo-classe que j'avais considéraient eux-mêmes mes permanences comme une garderie...